Hortus Deliciarum - Codex du XII° siècle
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INTRODUCTION
« Je vous remercie du riche et agréable envoi, qui m'a transporté dans des temps, où l'on aime à
séjourner, parce qu'une imagination féconde nous réconcilie, en l'adoucissant, avec le caractère barbare
qu'on leur prête. Je vous dois aussi l'évocation, venant de temps obscurs, d'un saint nom, qui m'est cher à
bien des égards. »
Gœthe à Engelhardt, le 3 février 1823.
Le bonbardement prussien destructif de 1870 ou ce que nous avons perdu !
  ANS la nuit du 24 août 1870, la Bibliothèque de la Ville de Strasbourg, installée dans l'ancienne église des Dominicains, « le Temple Neuf », devint, lors du bombardement de la ville par les Allemands, la proie des flammes. Aux cris de désolation pour la perte irrémédiable des trésors littéraires et artistiques, se mêlait l'indignation causée par les
obus incendiaires de l'ennemi. A quoi serviraient les discussions sans fin autour des responsabilités en face de la catastrophe ? ¹. Une fois de plus le monde savant était réduit à pleurer sur les ruines et à se contenter d'évocations fragmentaires là où, la veille encore, les sources étaient abondantes, semblaient intarissables ! Un catalogue manuscrit en quatre-vingt-seize volumes pour les ouvrages imprimés, en cinq volumes pour les manuscrits, dus au bibliothécaire, le professeur Jung, ont aussi péri. En face de pareilles pertes, la connaissance des principaux courants de l'Histoire et des phénomènes culturels en général suppléera là où fait défaut la documentation spéciale. 
Les ciseaux d'Atropos sont impitoyables, cependant la piété envers le passé est toujours récompensée. Nous avons en effet l'espoir que ce qui était devenu la proie des flammes, ne fut pas complètement anéanti. Celui qui aurait, par hypothèse, réussi à déterminer les caractéristiques essentielles de la Cathédrale de Strasbourg, du Retable d'Issenheim du Musée de Colmar, de monuments si éloquents du génie du pays d'Alsace, ne saurait désespérer de la résurrection de I'HORTUS DELICIARUM. Sa disparition a toujours été reconnue comme la perte la plus douloureuse de la nuit néfaste. En parlant de l'incendie de la Bibliothèque de Strasbourg, la vision de I'HORTUS DELICIARUM voile nos regards. Le mot de l'Hortus monte à nos lèvres, car l'âme du pays a été trop profondément atteinte, l'Hortus étant l'incarnation du génie du grand siècle roman de l'Alsace, et bien au-delà.
La renommée qui entourait cet énorme Codex enluminé, le plus somptueux du haut Moyen Age, a tourné à la légende. Déjà au XVIII ème siècle, lorsque le manuscrit était encore conservé à la Chartreuse de Molsheim, et qu'il n'était pas possible à un homme comme Grandidier d'en prendre connaissance, ce chercheur infatigable se vit réduit à l'aveu qu'il s'agissait d'un recueil de poésies religieuses ². Depuis, un long chemin fut parcouru jusqu'à Léopold Delisle qui dit que l'Hortus a été une des productions les plus étonnantes du Moyen Age ³, jusqu'à Robert de Lasteyrie qui affirme que peu de manuscrits du Moyen Age ont acquis une réputation plus universelle et plus méritée ⁴, jusqu'au Cardinal Pitra qui, en parlant du splendidus codex argentinus, est amené à dire qu'il était trop connu parmi les érudits pour qu'il faille y ajouter encore un mot, jusqu'au projet de la publication du texte intégral dans la Patrologie de Migne ⁵. L'idée de la publication fut reprise quelques années plus tard par Piper qui dit dans l'introduction de son ouvrage : Die Kalendarien und Martyrologien der Angelsachsen (1862) : « vu la richesse de l'Hortus, serait d'un grand avantage que tout l'ouvrage fût publié ; aussi paraît-il qu'un érudit strasbourgeois rendra ce service à la science » ⁶.
Comment renconstiruer voire ressusciter le codex
Ce n'est qu'après la stupeur causée par la catastrophe, que s'offrit aux chercheurs l'occasion pleine de promesses de se frayer un chemin jusqu'à la connaissance précise du manuscrit, de ses miniatures, de ses textes, même des auteurs dans le cadre de la vie spirituelle et artistique du XII° siècle. L'intérêt soulevé par cette période dans l'ensemble de l'histoire régionale est si grand que les autres pertes de l'incendie reculent au deuxième plan. Quelques érudits se sont chargés, au cours du siècle, de rendre possible sa résurrection ; ils avaient voué à cette œuvre une vénération toute particulière, en essayant d'y intéresser un milieu étendu ; mais les travaux furent entrepris sans système, d'un point de vue trop restreint ; on prit des copies partielles de miniatures et de fragments de textes.
Où était le codex, au fil du temps ?
L'Hortus Deliciarum avait été conservé en son lieu d'origine, au Mont Sainte-Odile, jusqu'au milieu du XVI ͤ siècle. L'historien Jérôme Gebwiler l'y avait encore vu ⁷, mais après l'incendie du monastère, en 1546, il fut transféré au château épiscopal de Saverne avec un autre joyau, également du siècle, la Croix de Niedermünster, qui, après l'incendie de ce monastère, en 1541, resta conservée à Hohenbourg même ⁸. L'un et l'autre trouvèrent par la suite asile à Molsheim. La Croix fut offerte en 1580 par l'évêque Jean de Blanckenheim au Collège des Jésuites fondé par lui. La Chartreuse de Molsheim, fondée en 1597 par son successeur, le cardinal Charles de Lorraine, et à laquelle fut réunie celle de Strasbourg, détruite en 1591, demanda à l'évêque l'Hortus, dont elle devint le dépositaire. Le manuscrit fut aperçu par Schuttenheimer, curé d'Ottrott, qui en 1598 fit paraître une nouvelle édition de l'ouvrage de Gebwiler : Ein schön wahrhaftig... hystorie der heiligen junkfrawen Otilie... (Strasbourg 1521). Il y fait preuve d'une connaissance exacte de l'œuvre d'Herrade. A certains chercheurs des XVIe et XVIIₑ siècles, l'Hortus ne fut non plus inconnu, par exemple à Bernhard Hertzog (dans son Chronicon, 1592)⁹. Au XVIII ͤ siècle, le Prémontré Hugue Peltre laisse supposer dans sa Vie de sainte Odile, que l'Hortus lui fut accessible (1701) ¹⁰. Tous les autres auteurs qui le mentionnent plus tard, l'ont connu par ouï-dire ou se sont servi des renseignements de leurs devanciers. En somme, on peut affirmer que durant le XVIIe et le XVIIIͤ siècle le mystère devient plus opaque, exception faite de Denis Albrecht qui, dans sa History von Hohenburg, Imprimée à Sélestat en 1751, donne quelques extraits des poésies. Albrecht n'a pas fait la découverte à Saverne. La préface et les quelques poésies semblent être tirées de la copie faite par un Chartreux en 1659.
Engelhardt en 1818 relate qu'une copie a été faite et très bien conservée
Dans son ouvrage consacré à l'Hortus, en 1818, sur lequel nous aurons à revenir, Ernest-Maurice Engelhardt nous donne sur cette copie quelques communications intéressantes : le Père Chartreux, dit-il, se félicite de l'heureuse conservation du manuscrit malgré les malheurs qui se sont abattus sur Hohenbourg, comme si un ange du Paradis l'avait protégé ! Selon le P. Pitra le titre de cette copie était ainsi conçu : « Hortus Deliciarum ex diversis sacrae scripturae floribus... » Tout au début était figurée, mais mal dessinée, Herrade : Herradis Virgo. L'abbesse était représentée en costume de moniale du XVII ͤ siècle, robe et voile noirs, corsage et mentonnière blancs. La préface était précédée d'une dédicace au Christ et d'un appel à «Zoïlus».
Du Mont Sainte Odile où il est rédigé en 1180 (?), à la bibliothèque de Strasbourg en 1870
A la fin était jointe une courte histoire du monastère de Sainte-Odile, avec les noms des moniales à l'époque de Relindis et d'Herrade. Les miniatures de l'original étaient remplacées dans la copie par des extraits correspondants tirés de l'Écriture. La copie fut confectionnée en cinq mois, du 17 novembre 1694 au 21 mars 1695. Le Chartreux détint cependant le manuscrit chez lui durant trois ans, jusqu'à ce qu'il trouvât le courage de commencer ce travail. Il répète la notice insérée tardivement dans l'original, selon laquelle Herrade aurait composé l'œuvre en 1180. La copie suit l'ordre de l'original, sauf quelques omissions qui se rapportent aux explications de termes par des gloses et aux sciences profanes. Peut-être le Chartreux envisageait-il une édition de sa copie, d'autant plus qu'il se félicite dans la préface de présenter à ses lecteurs un trésor jusque-là inaccessible. Ce passage démontre quelle valeur on attribuait au Codex et avec quelle jalousie on le conservait pour pouvoir braver toutes les vicissitudes du monastère. Engelhardt prétend que l'Hortus aurait été conservé à Hohenbourg auprès des reliques les plus insignes. Primitivement il n'était pas relié comme le prouvait l'usure du premier et du dernier feuillet. II reçut par la suite une reliure sur ais de bois couverte de cuir avec ornements à froid. Plus tard s'ajouta une housse de velours rouge ¹¹. La tranche était dorée. Il resta donc inconnu du grand public jusqu'à la Révolution. Avec la bibliothèque des Chartreux, il prit le chemin de la Bibliothèque du District de Strasbourg, où il resta, sauf une brève interruption, jusqu'à sa destruction. Un épisode dernier s'intercale, dû au chanoine François-Louis Rumpler « mort subitement et qui vit encore ». Parmi les biens nationaux se trouvaient le Mont Sainte-Odile et Niedermünster, dont il voulait assurer la conservation. Il réclama aussi l'Hortus pour la famille de Landsberg, et l'obtint. Mais l'administration départementale, après enquête, ordonna sa restitution. Le manuscrit fut donc rendu à la Bibliothèque du District. Rumpler tint cependant à marquer le passage de l'Hortus entre ses mains par une notice en première page : « Le 11 novembre 1794, j'ai obtenu de l'administration du District de Strasbourg ce précieux manuscrit, composé par Herrade de Landsberg, et je l'ai remis en triomphe à Charles, son arrière-petit-neveu, commandeur de l'Ordre Teutonique, mon estimable ami et ancien condisciple. Signé L. Rumpler, concitoyen de Sainte-Odile, ma chère patronne » ¹².
Publication en 1818 par Engelhardt de 12 feuillets in folio, fait connaître l'ouvrage
En 1818, Christian-Maurice Engelhardt, chef du Bureau de Police de la Ville de Strasbourg et gendre de l'helléniste Schweighäuser, fit connaître l'Hortus par une publication spéciale : Herrade von Landsberg, Aebtissin zu Hohenburg, Oder Sankt Odilien, im Elsass, im zwölften Jahrhundert, und ihr Werk : Hortus deliciarum, mit 12 Kupfertafeln, in Folio, Stuttgart, Cotta, 1818 ¹³. Dans la préface de l'ouvrage dédié à Sa Majesté Maximilien-Joseph de Bavière, l'auteur précise son but ainsi : « Le fait que l'œuvre d'Herrade donne une idée de la culture littéraire et scientifique de son époque, nous a semblé intéressant pour nos jours et c'est cette considération qui nous a guidé dans le présent travail. Les miniatures offrent les sujets les plus variés : costumes, mœurs et arts du siècle. Ces miniatures sont l'objet principal de nos recherches, de même qu'elles ont déterminé le choix des Illustrations que nous ajoutons à titre documentaire. Ce fut notre but unique, et non pas un travail s'étendant sur l'ensemble de l'Hortus, ce qui de toute façon nous aurait été impossible de par nos occupations professionnelles... Certaines pages trahissent l'influence de l'époque à laquelle notre travail fut les années 1810 à 1811, lorsque l'Europe semblait vouée à un despotisme élaboré ; c'étaient écrasant toute liberté et toute dignité humaine ! La fuite hors des temps vers les régions de l'histoire ou de la fantaisie a procuré soulagement et récréation à notre cœur meurtri. »
Engelhardt avoue ainsi s'être limité aux questions culturelles dans le sens strict du mot, et ce côté seul donne à son ouvrage tout son prix. Cependant le fond de l'ensemble qui se reflète autant dans les miniatures que dans le texte, est sensiblement différent. Seule l'authentique explication du terme d'Hortus Deliciarum nous démontrera le sens qu'Herrade entendit donner à son œuvre. Le mérite d'Engelhardt est pourtant très grand. Il donne une description exacte du manuscrit, cite la plupart des sources des textes, donne d'une façon assez précise le contenu et, en général, les rapports entre images et textes. Il se livre dans des chapitres spéciaux à des dissertations sur les sciences, les armes, les ustensiles, l'architecture et la vie en général au XIIC siècle. A la fin du volume, l'auteur reproduit presque toutes les poésies, le catalogue des papes, et, ce qui est pour nous d'une valeur inestimable, les gloses allemandes interlinéaires ou marginales, non pas selon l'ordre alphabétique, mais dans l'ordre du manuscrit, à quelques exceptions près. Les douze planches gravées reproduisent les miniatures choisies selon le principe indiqué. Engelhardt a fait colorier quelques exemplaires d'après l'original.
En 1830 le Codex est confié au comte Bastard d'Estang pour une publication en 1832
L'érudit qui, vers 1830, s'occupa de l'Hortus, après Engelhardt, en essayant de pénétrer davantage dans son monde spirituel, fut le comte Auguste de Bastard d'Estang. Grâce au gouvernement de Louis-Philippe il obtint la permission d'emprunter le précieux manuscrit, en vue de la reproduction des miniatures pour l'œuvre monumentale : Peinture et ornements de manuscrits classés par ordre chronologique, Paris, 1832 sv., grand in-fol¹⁴. Bastard conserva l'Hortus presque dix ans à son domicile. Au début de 1848, le Baron d'Arnim, résidant à Paris, demanda par la voie diplomatique la communication du Codex pour trois mois à Berlin et le rendit aussitôt. Nous supposons qu'il fut prêté sur la demande de F. Piper, pour l'ouvrage que nous avons cité.
Depuis le retour de l'Hortus de Berlin, il resta dans la Bibliothèque de Strasbourg pour être consulté par quelques spécialistes dont le cardinal Pitra et le jeune archéologue et futur chanoine Alexandre Straub. Dans la préface à l'ouvrage dont nous parlerons ci-après, Straub dit : « Ces calques (qu'il avait exécutés lui-même) me rappellent les années heureuses où je pouvais passer quelques heures des jeudis de l'année scolaire dans la Bibliothèque de la Ville, encouragé par le conservateur, le professeur Jung ». Le danger dont fut menacé l'Hortus, l'archiviste Spach mentionne dans ses Lettres sur les Archives départementales qu'il a récemment échappé à une catastrophe imminente et qu'il est réservé, Dieu seul le sait, à quelles destinées encore » ¹⁵, a dû être, selon Rathgeber, l'incendie du Gymnase du 29 juin 1860 ; le professeur Jung put écarter alors le malheur de la Bibliothèque. Mais d'autres périls le guettaient : Rod. Reuss dans sa plaquette sur les Bibliothèques publiques de Strasbourg (1871) prétend que l'Hortus « était exhibé à tous les visiteurs de la bibliothèque, et plus d'une charmante miniature dont i1 était rempli, fut clandestinement découpée jadis de ses feuillets »¹⁶. 
L'ouvrage est régulièrement mutilé et des folios découpés ou arrachés (324 feuillets au XIV° et 308 en 1860)
On suppose facilement que les malfaiteurs n'auront pas dérobé les moins belles. Un certain nombre, que nous évaluons à une vingtaine, manquaient lors de l'incendie. Après la publication d'Engelhardt, la miniature de l'Enfer (fol. 255) qui est une des créations les plus originales, disparut un jour du manuscrit. Plus tard le bibliothécaire, eut la bonne fortune de la retrouver chez un antiquaire allemand ; i1 la racheta et la réintégra dans le volume ¹⁷. Théoriquement, les feuillets manquants pourraient encore exister dans des collections cachées, p. ex. la double feuille avec les douze apôtres. Toujours est-il qu'au XIV ͤ siècle le manuscrit comptait encore 324 feuillets ; en 1860 il en avait perdu dix-huit. Au demeurant il était conservé à la Bibliothèque de la Ville de Strasbourg, donc dans un dépôt public, depuis que l'administration départementale avait changé la Bibliothèque du District en Bibliothèque centrale du Département et finalement en Bibliothèque de la ville de Strasbourg. Tous les travaux précités nous en passerons encore d'autres en revue - ont servi plus tard à la grande publication entreprise par la Société pour la Conservation des Monuments historiques d'Alsace, dont le Président, le chanoine Straub, réunit après le désastre, conformément à la décision du 14 juin 1875, tous les documents accessibles, en vue de la publication monumentale: Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum, publié aux frais de la Société pour la Conservation des Monuments historiques d'Alsace. Texte explicatif commencé par le chanoine Straub (+ 1891) et achevé par le chanoine G. Keller, 1879 à 1899, Strasbourg, Imprimerie Strasbourgeoise¹⁸. C'était l'ombre triste de la splendeur de l'original disparu. Cependant, un grand pas était fait par rapport aux travaux antérieurs, d'autant plus que purent être reproduites de notables portions des textes, recueillis par les PP. Cahier et Martin dans leur grande monographie des Vitraux de la Cathédrale de Bourges (1852) ¹⁹. Le fonds Bastard a été aussi et la moisson aurait été encore plus abondante, si le chanoine Keller avait vécu plus longtemps. Conjointement à cette entreprise, il faut encore rappeler les travaux de Le Noble ²⁰, Léopold Delisle ²¹, J de Lasteyrie ²², E. Müntz ²³, Spach  ²⁴, Gyss ²⁵, Piper et Charles Schmidt ²⁶, qui tous ont fourni des renseignements utiles fondés sur l'étude directe du manuscrit. Au dernier, nous devons le renseignement suivant concernant la copie du Père Chartreux : « J'ai eu souvent entre mes mains le magnifique volume de l'Hortus, j'en vois encore les peintures comme si c'était hier. Peu avant la guerre de 1870, notre bibliothécaire me permit d'emporter la copie faite par le Chartreux de Molsheim ; je voulais étudier le texte à mon aise pendant les vacances. Quand les premiers obus furent tombés sur la ville, je me hâtai de rendre le livre à la bibliothèque, croyant que là il serait plus en sûreté que dans une maison particulière. Si je l'avais gardé chez moi, il existerait encore ! ²⁷.
Pouvait-on tout reconstruire ?
A présent se pose la grande question : après tous ces travaux et après la destruction de l'original, était-il possible d'aller encore plus loin et d'arriver à la reconstruction quasi intégrale ? Cette question n'est pas oiseuse, elle est plus que justifiée, elle s'impose. Quiconque a voué au Moyen Age de l'Alsace, au Mont Sainte-Odile le culte auquel ils ont droit, l'attend ; l'attendent aussi les historiens d'art, privés jusqu'à présent d'un pilier pouvant étayer maintes doctrines conduisant vers des solutions plus sûres. De Lasteyrie l'avait entrevu : « On pourrait à la rigueur se consoler de la perte du texte même de l'Hortus, mais comment ne pas regretter un monument d'une pareille importance pour l'histoire de l'art, un volume où se trouvait un tel nombre de miniatures d'un éclat et d'une conservation incomparables. La question de la reconstitution de l'ensemble posée, on peut répondre théoriquement par l'affirmative, jusqu'à un grand degré de probabilité. Mais comment se représenter l'organisation de ce travail énorme, jusque dans les moindres détails ? Pourrait-on se livrer à la reconstruction de notre Cathédrale tombée en ruines ? L'espoir existe cependant que cette entreprise doit et peut réussir. C'est sur la base du fonds Bastard de la Bibliothèque Nationale que cette œuvre de reconstruction pourra être pratiquement poursuivie ²⁹. Encore ne faut-il pas abandonner l'espoir que de nouveaux matériaux inconnus pourront être tirés de l'oubli.
La présente publication se justifie par elle-même. Celle de Straub et Keller n'est pas entre les mains de tous les intéressés ; elle est devenue rare, elle est peu maniable, manque d'ordonnance à cause des suppléments successifs ; le texte incohérent. Il s'agit donc de réunir les résultats obtenus en mettant à profit la technique de la reproduction en couleurs. Nous ne serons plus réduits à ce que dit Straub avec résignation ; « que les calques sont dépourvus souvent du vrai caractère des miniatures, dont l'éclat de couleurs et d'or et la perfection nous ont toujours émerveillé et rempli d'étonnement » ³⁰. La reproduction des documents Bastard le prouvera.
Quant au texte, il faudra renoncer à le reproduire dans l'état où i1 se présente actuellement, même après la reconstitution d'environ 30 000 lignes sur 45 000. Un certain nombre de traités utilisés par les scribes ne nous sont plus accessibles.
Le rôle du scriptorium de Marbach
L'aspect de l'Hortus Deliciarum était monumental. Les 255 feuillets en parchemin mesuraient 53 sur 37 cm, auxquels sont venus s'ajouter par la suite 69 feuillets intercalés de moindre dimension, de sorte qu'on comptait finalement en tout 324 feuillets. Le texte était écrit sur deux colonnes à cinquante lignes en moyenne. L'écriture était celle du scriptorium de Marbach ; elle apparaît déjà dans le Codex Guta-Sintram (daté de 1154 ³¹) et les quelques manuscrits de la même époque conservés dans les bibliothèques de Sélestat et de Colmar, c'est-à-dire une cursive caroline, annonçant déjà la cursive gothique. Le titre seul était écrit en majuscules. Nulle part dans le manuscrit on ne trouve d'initiales à ornement. Tout l'art se concentrait avec une sage économie sur les miniatures, dont il n'y avait pas moins de 344, parfois en pleine page, souvent en deux ou trois superposés ; il arrive qu'une seule composition se poursuit sur plusieurs pages, ainsi le Combat des Vertus et des Vices, le Jugement dernier, pour la raison que les miniaturistes étaient tenus à un module déterminé. En général, les feuillets à miniature étaient peints sur les deux côtés ; le texte ne tenait pas toujours compte de cette interruption, ce qui permet de supposer que les miniaturistes travaillaient indépendamment des scribes (raison de plus qu'il ne saurait être question d'une seule personne attachée à ce travail laborieux). L'Hortus est l'œuvre d'un scriptorium organisé. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce problème. La proportion du texte par rapport aux miniatures était de 3 à 1.
En feuilletant le manuscrit, on pouvait constater que le texte se composait d'une suite impressionnante d'extraits d'auteurs les plus variés, depuis l'Écriture, les Pères de l'Église, jusqu'aux contemporains d'Herrade même. C'était le témoignage des autorités de tous les siècles, depuis la tradition patristique jusqu'aux temps les plus rapprochés, par les textes et les images, car les miniatures présentaient non seulement les thèmes mais aussi les types et les compositions de tous les siècles interprétés dans le sentiment du XIIe. L'influence de la vie féodale et chevaleresque contemporaine était grande et directe.
Quels auteurs sont cités par Herrade ?
Les auteurs consultés représentaient une bibliothèque respectable. Après l'Écriture Sainte, nous relevons Clément de Rome (Eusèbe ?), Augustin, Jérôme, Ambroise, Grégoire le Grand, Jean Chrysostome, Gennade de Marseille, Léon le Grand, Isidore de Séville, Bède le Vénérable, Smaragde, Frechulfe, Honorius dit Augustodunensis, Robert de Thuy, Yves de Chartres, Pierre Comestor, Adso de Luxeuil, Pierre Lombard. Pour ces auteurs et tous les autres anonymes, indiqués simplement par Doctor quidam, il s'agissait moins du nom que de leur autorité dans la tradition. Quelques-uns de ces anonymes sont identifiés et ont livré leur secret. En principe, les recherches devaient avoir comme point de départ pour la reconstitution l'attribution plus ou moins exacte, des textes à tel auteur à l'époque d'Herrade.
Du haut de ce point de vue, un regard sommaire nous apprend qu'au premier plan l'idée fondamentale de l'Hortus est de représenter l'Église du Christ sur terre, préfigure de la Jérusalem Céleste, qui est l'Église glorifiée de l'au-delà. Au centre règne son fondateur et époux, Le Christ, placé sur les confins de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ceci est indiqué par la signification profonde du terme HORTUS DELICIARUM. Celle-ci semble plus étendue que ce qu'Herrade elle-même entendait indiquer dans la phrase dédicatoire : « Ici commence le Jardin des Délices dans lequel la troupe des vierges se réjouit des fleurs recueillies avec zèle dans les Écritures Ceci n'est pas la définition, mais l'indication du but du travail. Après ces paroles d'introduction, on croirait que cette promenade à travers ce jardin dût être un enchantement ! Ceci n'est pas le cas, au moins aujourd'hui. Bien souvent, ce n'est pas du miel qui s'offre sur le chemin à travers une broussaille de textes à la symbolique recherchée ! Mais avant d'aborder ce travail, il faut se représenter le cadre historique dans lequel se place Herrade et son œuvre.
Le site du Mont Sainte Odile
Le « Sainte-Odile » est pour l'Alsace la montagne par excellence. Dans les temps les plus anciens, les Celtes ont fait de cette forteresse naturelle un refuge imprenable où, dans des temps moins reculés, on put s'installer en permanence. A l'époque franque, le duc Attic ou Etichon y construisit pour sa fille Odile le monastère de Hohenbourg, et le dota princièrement de biens situés à travers le duché d'Alsace. La figure de la sainte ne s'est jamais évanouie de la mémoire du peuple. Par l'Hortus Deliciarum la montagne est devenue et est restée un poste d'observation de haute culture dans lequel une tradition séculaire trouve son interprétation par la parole et l’image. Il s'agit donc de découvrir et de poursuivre cette tradition.
Les Etichonides - Leon IX pape  (famille Dabo-Eguisheim)
Un tour d'horizon complet, embrassant l'histoire ecclésiastique et politique du haut Moyen Age, s'imposerait ici, car l'Alsace y avait pris une part active. Les Etichonides s'illustrèrent d'un homme « par lequel fut inaugurée une nouvelle époque de la papauté, Léon IX »   Son berceau était placé « in dulcis finibus Elisatii » Ce pape va entreprendre la rénovation de l'Église entière. Ceci n'est pas dû au hasard. Notre pays resta toujours largement ouvert à la réforme issue de Rome ou d'autres centres spirituels. Aux temps carolingiens, Murbach, également une fondation de la famille d'Etichon, ainsi que St-Gall et la Reichenau, tenaient le flambeau de cette renaissance, qui recevait l'orientation du Christianisme primitif et latin, et par lequel le royaume des Francs fut transformé « en une nouvelle Athènes, plus noble que la première de Platon, parce qu'y régnait le Dieu vivant Jésus-Christ ». Encore, lorsqu'au X ͤ  siècle se substitua à l'idéal du christianisme primitif, l'idéal germanique fondé uniquement sur la nature humaine, lorsque les paroisses, les évêchés, Rome même, devinrent les fiefs de seigneurs, princes et dynastes séculiers, les premiers rayons de rénovation, partis de Bourgogne, touchèrent notre pays, parce que les événements avaient placé à côté d'Othon de Saxe, le restaurateur de la puissance impériale, une femme providentielle dans la personne d'Adélaïde, fille du roi Rodolphe de Bourgogne et petite-fille de Burckard Ier, duc de Souabe. Dans cette rencontre de la puissance universelle de l'Empire et de la volonté farouche de rétablir l'idéal chrétien du Sacerdoce et du Monachisme, issue de Cluny, la synthèse des éléments christiano-latins et nationaux-germaniques pouvait se développer librement. Les Francs romans dont l'esprit éveillé allait vers un idéal formaliste, avaient saisi d'une façon décidée la nouvelle conception d'une piété idéale. Le couvent de Seltz, fondé en 987 par Adélaïde, auquel échut plus tard la Forêt Sainte, fut pendant les dernières années de sa vie (+ 999), un élément puissant de la réforme, d'autant plus que l'ancien chapelain de la cour impériale était l'évêque de Strasbourg.
La réforme Bénédictine 
En nous acheminant vers les origines de l'Hortus Deliciarum, il est important de prêter notre attention à la réforme bénédictine qui a subjugué l'Occident. C'est d'abord l'abbé Odon (927-942) qui « dépassait bien des rois et qui jeta les fondements de la réforme clunisienne universelle ; saint Odilon (994-1048), de la haute noblesse auvergnate, eut l'occasion, lors de ses nombreuses pérégrinations, de prendre contact avec les empereurs tels Othon III, le petit-fils d'Adélaïde, que l'abbé Odilon vénérait beaucoup et dont il rédigea la biographie. Sous l'empereur saint Henri II, Odilon se fit le champion de la pacification de la chrétienté, de la Treuga Dei, la Trêve de Dieu. Mais bientôt après sa mort devait éclater la lutte funeste qui déchira l'Occident ; la lutte entre les Deux Pouvoirs, la Querelle des Investitures. En 1048, l'évêque de Toul, Brunon, fils du comte d'Eguisheim, fut promu à la dignité papale par son cousin Henri III. Ce clunisien sut s'entourer d'amis de la réforme, de l'abbé Hugues de Cluny, de Pierre Damien et d'Hildebrand, le futur pape Grégoire VII, de l'empereur qui, par sa femme Agnès de Poitiers, de la famille du fondateur de Cluny, était acquis à ce mouvement. Léon IX, tout en se faisant proclamer librement à Rome par le clergé et la population, était placé en face du problème de l'élection libre des papes et de l'investiture pontificale des évêques. L'histoire religieuse d'Alsace connaît des pages sanglantes à l'occasion de ces démêlés, mais l'idée de réforme gagna constamment du terrain sous ce pape. Cet homme apostolique parcourut l'Italie, franchit trois fois les Alpes, jamais sans saluer son cher pays d'Alsace (1049, 1050, 1051). Déjà auparavant il avait rendu visite à Hohenbourg, au tombeau de ses ancêtres. En 1050, i1 y octroya un règlement liturgique   ³² et ³³ . Dans le même sillage de la réforme marchait Murbach, Wissembourg et Andlau. Dans le Sundgau fut envoyé Morand pour y fonder des prieurés. A cette époque encore une nouvelle communauté spirituelle se mit au service du même mouvement.
Règle de saint Augustin
Le synode du Latran avait astreint en 1059 les chanoines des cathédrales à une vie plus apostolique. Ils s'organisèrent en chanoines augustins réformés. En Alsace, ce mouvement fut vigoureusement soutenu par Manegold de Lautenbach, le champion intrépide du programme grégorien. Hohenbourg s'affiliera, en 1153, à la règle de Saint-Augustin reconstituée. Ainsi Henri IV rencontra à l'ouest de l'Empire les adversaires les plus déclarés. Comme les empereurs, les puissants seigneurs de Souabe se méfiaient du pieux Berthold de Zaehringen - la défiance contre les éléments autochtones caractérisa déjà le Xe et le XI ͤ siècle ; comme duc d'Alsace fut désigné son gendre, Frédéric de Büren. Ce premier Hohenstaufen était le mari d'Hildegarde, fille du comte Gérard Ier d'Eguisheim, elle-même fondatrice de Sainte-Foy de Sélestat. Par cette femme, la dynastie des Staufen, affiliée aux adversaires de la politique grégorienne, acquit des biens considérables en Alsace. Pour frayer l'accès au trône royal, il fallut la terrible dévastation de la Souabe. Depuis dix-neuf ans, la guerre fratricide fit rage en Alsace, avec une violence inouïe. En 1084, le duc reçut l'appui de son frère Othon, que l'empereur avait appelé à la tête de l'évêché de Strasbourg (1082-1084). Dures épreuves et tourments intérieurs pour ce fils d'Hildegarde dans une atmosphère irrespirable et sous les coups durs d'événements tragiques : la mort par la peste de la mère et celle de Hugon, dernier comte d'Eguisheim et neveu de Léon IX, assassiné lors de la « réconciliation » avec son plus terrible adversaire, qui était cet évêque de Strasbourg. Sur le terrain spirituel, Manegold prit la fuite après la destruction du prieuré de Lautenbach par les impériaux, en 1080 (1085 ?), mais dès 1094 il reprit son activité de prédicateur grégorien comme premier prieur des Augustins de Marbach près Guéberschwihr. L'évêque repenti, pour faire pénitence, entreprit la croisade. Mais en Alsace les choses allaient se gâter. L'empereur Henri, après une longue absence, se mit à la réorganisation des affaires en Souabe, où le Hohenstaufen, tout en restant duc, se vit arracher la partie sud avec Zurich qui fut attribué à Berthold réconcilié avec Henri. Manegold fut jeté en prison et mourut en 1103. Sous cette pression politique l'évêque Othon retomba dans le schisme. Comme il avait interrompu la croisade, la population considéra sa mort prématurée comme une punition de Dieu. Le duc Frédéric Ier laissait, en 1105, un fils de quinze ans, Frédéric II; et lorsque, en 1115, celui-ci vit tomber sur lui la foudre de l'excommunication, la querelle rebondit de plus belle en Alsace. 
Frédéric II  le Borgne réduit le Mont Sainte Odile en cendre
C'est alors que Frédéric le Borgne essaya, comme son père, de rentrer dans les bonnes grâces de l'empereur, en brisant brutalement toute résistance dans ce pays ; en l'absence de Henri, il devint même gouverneur d'Empire. A nouveau le pays fut ravagé, une nouvelle série de châteaux forts se dressa sur les hauteurs des Vosges. Hohenbourg même, que les adversaires de l'empereur avaient occupé, fut réduit en cendres, ses riches possessions, comme Obernai et Rosheim, augmentèrent la puissance du duc d'Alsace. 
Fréderic Barberousse duc d'Alsace en 1141 et fait reconstruire Le Mont Sainte Odile
Ce n'est que par son fils Frédéric Barberousse, qui, dès 1141, apparaît comme duc d'Alsace (et empereur plus tard), que Hohenbourg fut reconstruit. De sa main ferme il protégea ses biens. En janvier 1153, il séjourna au Mont Sainte-Odile avec l'évêque Burghard, sous l'abbatiat de Rélindis. En 1190, l'évêque Conrad II confirma les statuts d'Herrade, qui devait suc céder à Rélindis. C'était l'époque glorieuse des Hohenstaufen, qui atteignit son apogée à Mayence, lors des fêtes de Pentecôte en 1184. L'Alsace était au centre des grands événements. De 1152 à 1189, Frédéric Barberousse y séjourna treize fois pour les grandes cérémonies ecclésiastiques et politiques. C'est dans cette vie culturelle du Rhin moyen et supérieur, au centre de la puissance des Hohenstaufen, dans la région privilégiée, que l'on célébrait tous les ans les fêtes de Pâques et de Pentecôte impériales, les diètes solennelles. Dans les villes et palais naquirent les grands jours de l'Empire. C'est ici que se développa la langue cultivée, expression d'une culture chevaleresque parallèle à celle de l'ouest et qui, dans la personne de Frédéric, trouva son promoteur par excellence. Dans cette atmosphère, les Hohenstaufen découvrirent une conception du monde autre que celui des Guelfes et de l'Église. Certains auteurs ne comprennent pas que l'Alsace, province privilégiée du territoire des Hohenstaufen, où séjournait si souvent leur représentant, soit à Haguenau, soit à Strasbourg, ait témoigné si peu de sympathie et de ferveur à leur dynastie. Mais on n'expliquerait pas non plus sa fidélité envers le pape et l'Église, pour lesquels trois générations avaient apporté le sacrifice de leur sang, par ce phénomène des variations d'attitude envers le suzerain. On touche plutôt à la vérité en disant que cette attitude n'est pas la cause, mais l'effet des événements.
Evolution notable de la chevalerie - le contact avec l'Orient - Croisades
L'image du monde, sous l'influence de laquelle l'Hortus Deliciarum fut rendue possible, serait incomplète sans considérer le changement profond qui se produisit dans la société occidentale au début du XIIe siècle. Par les croisades, la vie chevaleresque entra en contact avec l'Orient et avec la conception d'une vie nouvelle, qui s'éloignait de celle représentée par le clergé. L'appel du monde était puissant pour le jeune chevalier. Tout en passant par l'école de l'Église, il cherche une nouvelle issue entre la négation et l'affirmation de ce monde. Jusque-là, Dieu et le Monde étaient un seul phénomène, uni en tout et partout. Maintenant, se manifeste une dissociation plus accusée de « Dieu » Un nouvel idéal éthique et social est en formation. Le chevalier connaît ces nouveaux horizons sans abandonner ceux de l'au-delà. Ainsi la chevalerie s'est créé une morale voisine des tendances stoïques.
Le Nouveau Mont Sainte Odile rayonne et l'Hortus y participe
Dans ce monde aux vives couleurs, fut planté le « Jardin des Délices ». Sur lui plane le génie des abbesses Rélindis et Herrade, inspirées toutes deux d'une vitalité spirituelle qui traduit la pérennité de la pensée chrétienne. On ne saurait parler d'Herrade sans parler d'abord de Rélindis. Nous avons vu comment sous Frédéric le Borgne le monastère de Sainte-Odile avait éprouvé une déchéance après une floraison de plusieurs siècles. Il appartenait à Frédéric Barberousse de le relever avec des efforts qui valaient une nouvelle fondation. Ce prince appela entre 1147 et 1152 Rélinde, abbesse du couvent de Berg près Neubourg-sur-le Danube ³⁴. Sous son abbatiat, la vieille maison connut un essor unique dans son histoire. Elle introduisit à Hohenbourg la règle de Saint Augustin. Il est dit expressément dans la bulle de Lucius III : canonicae disciplinae rigorem secundum regulam beati Augustini inibi pleniter informavit. Elle mourut le 22 avril (août?) 1167. L'élève la plus qualifiée, Herrade, lui succéda comme abbesse. Tout permet de supposer qu'elle était de la famille des Landsberg. Le fait que ce nom ne figure pas dans les documents et chartes, n'a rien de surprenant pour qui est quelque peu familiarisé avec les usages de la diplomatique de l'époque. Ne fallait-il pas au grand Erwin deux siècles pour être de Steinbach » (Wimpheling, 1508) ? Herrade fut une personnalité de valeur exceptionnelle dans l'administration extérieure et intérieure du monastère. Encouragée par ses relations sûres et constantes, tous ses projets et actes trahissent la volonté de réforme. Contemporaine d'Hildegarde de Bingen (+ 1179), elle avait conscience d'appartenir à une grande époque de l'histoire culturelle, dont les deux pivots étaient l'autorité des deux Puissances, temporelle et spirituelle.
Mise en place de la vie spirituelle
Herrade consacra les onze premières années de son abbatiat à l'activité interne, temps où il faut placer l'organisation d'un établissement d'éducation supérieure pour les filles de familles nobles et bourgeoises du pays. C'est seulement en 1178, qu'elle appela les Prémontrés d'Étiva1 ³⁵, sur l'autre versant des Vosges, à St-Gorgon abandonné, à mi-hauteur de la montagne. Ce nouvel ordre, s'inspirant de la règle de Saint-Augustin, depuis 1120, se distingua par la célébration solennelle de la liturgie et par l'apostolat de tout genre, conformément à la devise « Ad omne bonum opus parati ». Ainsi que les Cisterciens sont à considérer comme des Bénédictins réformés, i1 faut voir dans les Prémontrés des chanoines augustins réformés. En présence de toute sa congrégation, de plusieurs nobles et des ministériaux, Herrade remit entre les mains de l'abbé d'Étival : Warner, un livre en symbole de la donation qu'elle lui fit de St-Gorgon, pour y construire un prieuré avec une chapelle. Un des frères viendrait y demeurer, monterait chaque jour à Hohenbourg pour dire la messe à l'autel de sainte Odile ; les autres rempliraient à tour de rôle la charge de semainiers. Le prieur visiterait le monastère toutes les fois que cela lui conviendrait. II viendrait surtout pour officier solennellement aux fêtes de sainte Odile, de la dédicace de la chapelle de cette sainte et de la Nativité de la Vierge. Une autre fondation d'Herrade est Truttenhausen, au pied du château de Landsberg. Là encore, elle érigea vers 1180 un prieuré de chanoines augustins réformés. Le premier prieur était Volcmar, qui arriva avec douze confrères de Marbach, centre que nous connaissons déjà par le très zélé grégorien Manegold de Lautenbach et par son école de miniaturistes, la plus en vue d'Alsace. Truttenhausen, en tant qu’hospice pour pèlerins et qu'hôpital pour les pauvres, était placé sous le vocable de saint Nicolas. Ses moines se partagèrent, avec leurs confrères de Saint-Gorgon, les offices religieux et les travaux d'érudition à Hohenbourg ³⁶.
Mise en place de la vie matérielle
A côté de la réorganisation de la vie religieuse, il appartenait à Herrade de pourvoir à l'administration temporelle des vastes domaines du couvent. Sur ce point, nous sommes renseignés par un règlement qui date en substance de l'époque d'Herrade même, et dont Charles Schmidt nous a communiqué l'essentiel ³⁷. Le principal objet de ce règlement fut de fixer les usages à pratiquer lors des plaids (Ding), qui se tenaient au couvent, car il n'existait pas sur la montagne de cour dominicale (Dinghof), comme il en possédait pour plusieurs de ses domaines situés dans la plaine. Ce que notre document appelle Hohenburglüte, c'étaient des paysans, hoirs ou homines proprii de l'abbaye, encore à moitié serfs, bûcherons, charbonniers ou cultivateurs de quelques champs dans les clairières de la forêt. Il les distingue des seigneurs : Herren, die uf dem Berg sint gesessen (=Bergherren), qui habitaient sans doute de petits castels, devenus plus tard les châteaux dont nous voyons encore les ruines ; ils étaient ministériaux ou vassaux de l'abbesse, tout en ayant eux-mêmes des serfs ou des hoirs. Le règlement commence par rappeler que l'abbesse a un Schultheiss ou Juge, résidant sur la montagne et choisi parmi les hommes du monastère. Ce fonctionnaire avait quelques charges, qui ailleurs étaient dévolues au Heimburge : il gardait la mesure légale pour le vin, i1 vérifiait les mesures dont se servaient les aubergistes et qui devaient être munies de son cachet, i1 procurait le pâtre commun pour le troupeau du couvent et pour celui des paysans ; il recueillait le salaire qui lui était dû, et, en revanche, il pouvait joindre au troupeau un bœuf ou une vache, sans frais pour lui-même. La veille de la fête de sainte Odile, laquelle avait lieu le 13 décembre, le villicus du domaine que Hohenbourg possédait à Rosheim, montait au couvent pour aider à maintenir l'ordre parmi les pèlerins et pour présider le plaid, qui se tenait le lendemain de la fête. 
La fête de Sainte Odile
Le Schultheiss le logeait la première nuit et lui servait deux viandes, l'une bouillie, l'autre rôtie, à son cheval il donnait une botte de palle et de l'eau ; le fourrage, il le prenait dans la cour du couvent. Les « hommes propres » de ce dernier hébergeaient les pèlerins, les seigneurs étant exemptés de cette obligation. Dix des hommes de l'abbaye étaient assesseurs du plaid, ils apportaient chacun cinq torches de bois de bouleau, d'une longueur et d'une grosseur déterminées, coupées dès le mois d'août, pour être bien sèches. Le Schultheiss en fournissait dix, elles servaient à éclairer la cour du couvent, où le plaid se tenait en plein air. A chacun des dix hommes, l'abbesse donnait un pain, et au Schultheiss deux, tous de telle taille qu'en l'appuyant sur le pied, on pût en couper au-dessus du genou, de quoi se rassasier une fois ; elle leur donnait aussi Une mesure de vin. Au plaid, tous les hommes de Hohenbourg venaient payer le cens qu'ils devaient tant à l'abbesse qu'aux seigneurs. En outre, chaque habitant apportait trois charges de bois coupées dans les forêts du monastère sous la surveillance d'un valet de l'abbesse ; en retour celle-ci faisait remettre à chacun un pain ordinaire et un pain de couvent, c'est-à-dire un pain blanc et de plus une écuelle de viande, débordant de chaque côté de l'écuelle ; les pains avaient une forme et une grandeur telles que, si un homme mettait le pouce au milieu, i1 pouvait faire le tour avec son doigt le plus long, comme avec un compas. Lors de la fête de saint Nabor, le 12 juin, les gens de la montagne se réunissaient à l'église de Hohenbourg, y prenaient la croix et la portaient en procession sur la prairie de saint Nabor, où les attendaient les prémontrés de saint Gorgon avec leur propre croix et un bénitier ; les frères fournissaient un quart de vin et deux gobelets neufs, on versait un peu de vin sur le clou de l'image de la croix, le reste était bu par les porteurs. Cette libation s'appelait Caritas, usage assez connu au Moyen Age ³⁸. Ainsi le vendredi, dans l'octave de Pâques, la portion des chanoines de la cathédrale de Strasbourg consistait entre autres en un verre de vin clairet et un autre de Caritas. Ce poculum caritatis ou caritas vini, qu'on servait à certaines occasions, provenait de fondations pour les jours d'anniversaires. Or, cette sorte de libation versée d'abord sur le clou de la croix comportait la bénédiction de toute la quantité de vin. Le maire de Rosheim était chargé de transporter cette même croix dans son village pendant la semaine des Rogations et lors de la Pentecôte, après quoi la rapportait à Hohenbourg. Ces détails pittoresques ont leur importance dans la vie d'Herrade.
Accueil de Sibylle veuve de Tancrède
Sur la fin de son activité inlassable Herrade accueillit en 1195 : Sibylle, la veuve du roi Tancrède, et sa fille, que l'empereur Henri VI, après s'être emparé de Sicile, avait reléguées à Hohenbourg. Ces dames ne prirent pas le voile, comme on l'a cru ; après quelques années elles recouvrèrent leur liberté. Cet événement relaté par le continuateur, de St-Blaise, d'Othon de Freissing ³⁹, assez éloquent en soi, témoigne de la renommée d'Herrade et de sa maison, jugée capable de donner asile à une reine et la princesse. Le projet de les forcer à prendre le voile et, par conséquent, de les éloigner de la vie politique, avait échoué. Herrade mourut le 25 juillet de la même année 1195, après une existence passée presque tout entière dans la retraite de son couvent, mais bénie comme peu d'autres.
L'activité organisatrice seule aurait suffi pour assurer à Herrade le nom d'une abbesse illustre. Mais ses mérites sont surpassés par une œuvre qui la couvrit de gloire à travers les âges, qui constitue un monument impérissable dans le domaine de la culture artistique. A ses quarante-sept chanoinesses et aux treize novices, elle dédia son encyclopédie de l’HORTUS DELICIARUM.
Datation de l'Hortus
On a beaucoup disserté sur la date exacte à laquelle cette œuvre fut composée. Le manuscrit cite, lui-même, à la fin, deux dates qui figurent dans une sorte de calendrier. Dans l'un il est dit : facta est haec pagina anno MCLXXV (1175), dans le second : Si ab aliquo quaeritur quo tempore factum sit, anno millesimo centesimo quinquagesimo nono (1159). Herrade resta à la tête du monastère depuis 1167, jusqu'à sa mort en 1195. En comparant ces deux dates, elles ne nous renseignent guère, car la date de 1159 se rapporte à la confection du calendrier, qui se compose de distiques tourmentés, pires que le poème de De Laudibus Sanctae Crucis de Raban Maur. Le poème qui contient ces vers n'a pas été nécessairement composé pour l'Hortus seul, il existe identique dans le Bréviaire contemporain de Strasbourg, conservé au Grand Séminaire. L'autre date de 1175 tombe dans l'abbatiat d'Herrade, car il est dit expressément : facta est haec pagina... Mais il nous est permis d'étendre les travaux à l'Hortus encore au-delà de la mort d'Herrade. L'adjonction successive de soixante-neuf feuillets, moins grands, intercalés et de textes importants, renvoyés à la fin, qui auraient dû se trouver dans le corps du manuscrit, en est une des preuves extérieures. Une troisième indication se présente à la fin du catalogue des papes. Jusqu'à Lucius II (= III), 1181-1185, l'écriture est ferme et identique à celle du manuscrit. C'est seulement après, qu'une main faible s'annonce par l'inscription d'Urbain, de Grégoire III et de Clément. On peut donc supposer que ce catalogue fut écrit en 1185 ⁴⁰.
Le style des miniatures
La question de la date est intimement liée au style des miniatures, surtout de celles qui se rapportent à la vie féodale et chevaleresque. Quant à ces dernières, Marignan, un chercheur par trop perspicace, se crut obligé, en face du style très avancé des armes et des costumes, de supposer un second exemplaire de l'Hortus, qu'il place au début du XIII ͤ siècle, tout en maintenant pour l'original la date proposée de 1175. On ne peut donner, dit-il, à ce second exemplaire la date de 1175. Il alla si loin, qu'il plaça le « second exemplaire » aux environs de 1230 sous prétexte que l'évolution des armures en Alsace était en retard vis-à-vis de la France à la même époque avec la réflexion : « N'oublions pas qu'il s'agit de l'Alsace ! ⁴¹.
Confection probable de l'Hortus entre 1175 et 1205
A l'exclusion de la date de 1159, qui conserve néanmoins son importance, nous pouvons conclure qu'on a mis environ trente années à la confection de l'Hortus, soit de 1175 à 1205, tout en admettant une certaine latitude avant et après ces dates. De ce fait, sont rendus plus compréhensibles quelques thèmes iconographiques ou motifs stylistiques, et expliquent aussi les rapports entre l'Hortus et les vitraux romans et prégothiques de la cathédrale de Strasbourg ⁴².
Description du fonds Bastard  d'Estang - bibliothèque nationale
Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, le fonds Bastard à la Bibliothèque Nationale est particulièrement précieux pour la reconstitution du texte. Ce fonds se compose d'abord d'un volume des extraits de textes et d'un catalogue, qui signale page par page les titres de ces textes et les sujets des miniatures, ensuite d'un traité complet sur le « Costume dans l'Hortus »; ce dernier a été publié par le chanoine G. Keller sous le titre de : « Essai sur les divers costumes figurés dans les miniatures du Hortus Deliciarum, manuscrit du siècle de l'abbesse Herrade de Landsberg » ⁴³. Fait partie de ce même fonds un second volume avec la traduction française des textes latins du volume précédent, puis une boîte de 1.085 fiches avec notices et quelques croquis, une seconde boîte de 796 fiches avec des extraits qu'on retrouve dans le premier volume, enfin une boîte de 733 fiches avec la traduction française et textes similaires. Notre documentation est complétée par les 1.300 gloses allemandes marginales et interlinéaires publiées par Engelhardt, qui suivent le texte pas à pas, de sorte qu'il n'est pas une seule page, pour ainsi dire, dont le texte ne fût accompagné d'une ou de plusieurs de ces gloses explicatives ⁴⁴. De ce fait, la suite des textes semble garantie, mais ce procédé de contrôle exige pour la reconstruction des passages manquants des recherches laborieuses, parfois décourageantes. Malgré ces difficultés, nous avons pu enregistrer des trouvailles surprenantes, qui complètent la Bibliothèque d'Herrade. I1 n'est plus d'aucune importance dès lors, qu'un long poème soit faussement attribué à Anselme de Cantorbéry au lieu de Hildebert du Mans, que Honorius dit Augustodunensis ne soit point mentionné, non plus qu'Isidore de Séville, quoique leurs œuvres soient mises continuellement à contribution.
D'où vient cette manne littéraire qu'utilise Herrade ?
Il restera toujours une énigme : d'où Herrade se procura-t-elle toutes ces sources littéraires ? Ses relations avec l'évêque de Strasbourg et le chapitre lui ouvrirent les portes de la vieille bibliothèque de la cathédrale, qui déjà sous Racchio, sous Erchenbald et surtout sous le grand Wernher était considérable ⁴⁵. Un certain nombre de ces manuscrits sont conservés aujourd'hui encore à Berne (fonds Bongars) et quelques unités dans d'autres dépôts. Munster, Murbach, Wissembourg, Marbach, Andlau, Sainte-Foy à Sélestat, possédaient également des collections de manuscrits utiles pour le texte, mais le problème des miniatures reste entier. Nous examinerons leur cas et leur style plus spécialement.
Un autre aspect de nos investigations est représenté par les quarante-cinq poésies réparties dans l'Hortus, dont la plupart furent publiées par Engelhardt. Une des constatations les plus intéressantes est celle que certains poètes ont révélé leur nom des vers acrostiches, c'est à-dire qu'en alignant les lettres initiales des différentes strophes, on obtient le nom de l'auteur, comme : HOHENBURGENSIBUS CONRADUS, dans la poésie Hoc in monte…, comme Godescalc (de Limbourg ?) dans Germinat radix sterilis … Une autre avec l'acrostiche : MEA SONAT MARIA donne l'idée symbolique et la clé de son vrai sens ⁴⁶.
Pour mieux comprendre le système de théologie symbolique, il faut prêter la plus grande attention aux auteurs consultés. Beaucoup sont mentionnés par leur vrai nom, d'autres, comme nous l'avons déjà vu, sous un faux nom, la plupart restant anonymes avec l'indication : Doctor quidam, Ex sermone cuiusdam doctoris. Dans l'Ancien Testament, la Genèse a fourni des extraits sur Abraham, l’Exode l'explication du Chandelier à sept branches, des Autels du Temple, de l'Agneau Pascal; du Lévitique et des Nombres sont tirés les passages sur le Sacerdoce; des Livres des Rois l'histoire du roi Salomon, des Prophètes Elie et Elisée, et du serviteur Giézi, dont la conduite à l'égard du roi Naaman sert à illustrer l'enseignement sur l'usure et la simonie; des Paralipomènes sont extraits de longs passages sur David et la captivité de Babylone, du livre d'Esther le retour de cette captivité; l'Ecclésiaste et le livre de Job servent à expliquer la vanité de toute chose. 
Le Nouveau Testament est plus largement mis à contribution. De saint Mathieu sont tirés quatre extraits, de Marc un, de Jean un, de l'Histoire des Apôtres quatre, des Épîtres de saint Paul trois, de l'Apocalypse également trois passages, tous au service et dans le cadre du système symbolique et moral. II est intéressant de constater que des 344 miniatures, 247 se rapportent à l'Écriture, soit deux tiers. 
A l'Écriture s'ajoute la longue théorie d'auteurs d'ouvrages théologiques et profanes que nous avons déjà cités en grande partie. D'un long poème en vers léonins - hexamètres rimés - « De Sacramento novi sacrificii » sont tirés d'importants passages. Ce poème se trouve classé dans la Patrologie de Migne parmi les œuvres d'Hildebert du Mans (de Lavardin) alors que l'auteur en est Petrus Pictor, chanoine de St-Omer ⁴⁷. Ce poème se range parmi les productions provoquées par l'hérésie eucharistique de Bérenger de Tours. Un autre ouvrage intitulé Autoritates, de caractère canonique, est dû à Yves de Chartres (+1117). On y constate la délimitation des compétences du clergé régulier et séculier, en faveur du premier. Les scribes de l'Hortus avaient à leur disposition un texte plus complet que celui parvenu à nous ⁴⁸. Saint Augustin est représenté par plusieurs traités : Les Confessions, De Civitate Dei, l'Enchiridion et un Liber Supplicationum, qui est une anthologie ancienne de textes augustiniens, connue aussi sous le nom de Liber Meditationum. 
De Bède sont tirés neuf passages du Commentaire sur la Genèse, sur la Pâque, les dix apparitions du Christ ressuscité, et la Construction du Temple spirituel. Un Commentaire sur le Cantique des Cantiques s'étend sur les Noces de Cana, la Vierge Marie, Salomon comme préfigure du Christ, Époux de l'Église. L'auteur, de loin le plus utilisé, est Honorius dit Augustodunensis (d'Augst près Bâle ?) ⁴⁹. Quoique presque contemporain d'Herrade, il n'est pas nommé. Comme auteur de nombreux traités d'un langage rythmé à riche symbolisme, Honorius répondait particulièrement aux tendances de l'époque. De son célèbre Speculum Ecclesiae sont tirés 156 passages, de sa Gemma animae ⁷², de l'Elucidarium ⁴⁷, se rapportant à toutes les matières possibles, de la Création jusqu'à la fin du monde. Honorius était le précurseur du polyhistorien Vincent de Beauvais, qui, par son énorme Speculum, doit être cité à côté d'Herrade. D'Eusèbe de Césarée est tiré un seul passage, pendant que l'historien Frechulfe, du commencement du IXe siècle, apporta sa contribution par de longs extraits de son prolixe Chronicon ⁵⁰. Une autre œuvre dite « Aurea Gemma » se révèle comme étant le livre des Étymologies d'Isidore de Séville, d'où sont tirés beaucoup de sujets d'ordre profane. Gennadius de Marseille est représenté par cinq chapitres d'ordre théologique. Quant à ce dernier auteur, il serait utile de préciser si ses passages ne proviendraient pas plutôt de saint Augustin, dont quelques écrits couraient sous le nom de Gennadius ⁵¹. Saint Grégoire le Grand fournit également quelques passages allégoriques, dans lesquels il se révèle comme disciple de saint Jérôme. Ce dernier est représenté par une vingtaine de passages, spécialement tirés de son Historia ecclesiastica, qui contient l'ouvrage du même nom d'Irénée-Rufin, augmenté du De viris illustribus ⁵². Saint Jean-Chrysostome fournit un seul passage sur la Jérusalem Céleste. Une fausse attribution à Clément de Rome est l'Itinerarium (Clementis) ⁵³, qui s'étend longuement sur les origines du monde, les opinions des philosophes, sur l'idée de Dieu, la mythologie antique et les arts magiques, jusqu'à Simon le Magicien, l'adversaire malheureux de saint Pierre. Léon Ier fournit le Sermon sur le Pater Noster ⁵⁴, Léon IV un passage sur les sortilèges ; de Pierre Lombard (+ vers 1179), le Magister Sententiarum contribue par de nombreux passages, surtout à la fin du manuscrit ⁵⁵. 
D'un Maximus, non autrement déterminé, provient une paraphrase sur la Parabole de l'Enfant Prodigue. L'Évêque et martyr Methodius donne le Commentaire sur la Genèse, pendant que Pierre Comestor (+ vers 1179), contemporain d'Herrade, est représenté par deux passages de l'Historia scolastica ⁵⁶. D'un Liber pontificalis qui doit être un Pontifical, sont tirés des canons sur la sorcellerie. C'est probablement le même ouvrage que celui que nous venons de connaître sous le nom de Léon IV, car ce que nous savons de ce pape est tiré du Liber Pontificalis, et par ailleurs les deux passages se suivent immédiatement. Raymond de Marseille est connu seulement par la date de sa mort 1192. Nous ne possédons rien de ses ouvrages, et c'est pour cela que nous déplorons que le copiste du comte de Bastard n'ait pris copie du passage de cet auteur. Robert de Tuy (de Deutz +1129) est l'autorité privilégiée à côté d'Honorius, sans que son nom soit révélé ⁵⁷. De son traité De divinis officiis sont tirés 35 passages sur le symbolisme liturgique. D'un auteur du nom de Salomon (de Constance ?) proviennent deux passages sur Caïn et Abel et sur l'Enfer. Un autre extrait des Disputationes contra Judaeos du pape Sylvestre ⁵⁸ est suivi de Smaragde de St-Mihiel avec deux passages de son grand Commentaire sur l'Écriture ⁵⁹. Nous n'avons pu déterminer un Speculum sanctae Mariae de l'époque d'Herrade même. Marbode de Rennes (+ 1123) est représenté par sa célèbre poésie sur les Douze Pierres précieuses dont est construite la Jérusalem Céleste ⁶⁰.
Que représente l' Hortus deliciarum ?
Voilà les noms cités ou identifiés des auteurs à travers le manuscrit. Mais à côté d'eux se dressent encore 148 extraits d'auteurs non déterminés dont un petit nombre seulement se retrouvent dans les papiers Bastard. Ces lacunes seraient une raison de désespérer de la reconstitution intégrale du texte, mais nous pouvons prétendre qu'elles ne portent pas préjudice au développement des grands thèmes, d'autant plus que les miniatures constituent un guide iconographique très sûr et que le catalogue de celles-ci est complet.
Le système de théologie symbolique que présente l'Hortus dans son ensemble, est caractérisé d'abord par son titre, dont nous avons examiné plus haut le sens. De la préface dédicatoire qui débute comme un diplôme, i1 ne ressort pas immédiatement : « Herrade, par la grâce de Dieu abbesse indigne de l'église de Hohenbourg, aux très douces vierges du Christ, travaillant fidèlement dans cette église comme dans la vigne du Seigneur, grâce et honneur en Dieu ! Je déclare à votre Sainteté que ce livre du nom d'Hortus Deliciarum, je l’ai composé, sous l'inspiration divine, des fleurs de divers écrits sacrés et profanes, pour la gloire et l'honneur du Christ, de l'Église et par affection pour vous, ainsi qu'une abeille construit son rayon de miel.
C'est pourquoi vous devez rechercher assidûment dans ce livre une nourriture délicieuse, refaire par les gouttes distillées du miel l'esprit fatigué. Toujours préoccupées des faveurs de l'Époux et rassasiées des délices spirituels, vous traverserez sans danger la vie passagère et vous goûterez les béatitudes de la vie éternelle. Quant à moi qui chemine périlleusement sur les voies multiples de la mer, vous me soutiendrez de vos prières efficaces, et, dégagée des désirs de ce monde, vous me ravirez avec vous au ciel dans l'amour du Bien-Aimé ; Amen.  (Herrat gratia Dei Hohenburgensis ecclesiae abbatissa licet indigna dulcissimis Christi virginibus in eadem ecclesia quasi in vinea domini fideliter laborantibus gratiam et gloriam quam dabit Dominas ! Sanctitati vestrae insinuo quod hunc librum qui intitulatur Hortus Deliciarum ex diversis sacrae et philosophiae scripturae fioribus quasi apicula deo inspirante comportavi et ad laudem et honorem Christi et ecclesiae causaque dilectionis vestrae quasi in unum mellifluum favum compaginavi. Quapropter in ipso libro oportet vos sedulo gratum quaerere pastum et mellifluis stillicidiis animum reficere lassum, ut sponsi blanditiis semper occupatae et spiritualibus deliciis saginatae transitoria secure percurratis et aeterna felici iucunditate possideatis, meque per varias maris semitas periculose gradientem fructuosis orationibus vestris a terrenis affectibus mitigatam una vobiscum in amorem dilecti (Christi) vestri sursum trahatis. Amen.) 
Ce prologue ne contient pas la vraie signification du titre. D'abord, il faut constater que le terme d'Hortus Deliciarum n'est pas l'invention d'Herrade. L'auteur qu'elle a mis si souvent à contribution, Honorius (+ vers 1130) dit dans son Speculum ecclesiae: Per paradisum qui Hortus Deliciarum dicitur, ecclesia accipitur, in qua sunt scripturarum deliciae et quae est vocata ad domum Dei ubi sont gloria et divitae. In tali paradiso fons oritur, dum Christus fons omnium bonorum de casta virgine nascitur, c'est-à-dire : Le Paradis qui veut dire Jardin des Délices, figure l'Église dans laquelle sont déposées tous les délices de l'Écriture, appelée à devenir la maison de Dieu où sont la gloire et les richesses. Dans ce paradis jaillit une fontaine qui est le Christ, l'origine de tout bien, né de la Vierge pure. » Dans ce même sens s'exprime Hildebert de Lavardin : Ecclesia Dei mysticus est paradisus: Sicut odor florem...: « L'Église de Dieu est le paradis mystique (figuré). Les fleurs exhalent leur odeur. Je m'arrête pour la respirer ! Bien que non lassé, je désire suspendre mes pas pour recréer ma vue en la promenant sur ce paradis. Le paradis signifie l'Église, dans ce paradis surgit l'arbre de vie, c'est-à-dire le Christ dans l'Église, les autres arbres sont les justes, les fruits les bonnes œuvres. D'une source unique jaillissent quatre fleuves, qui sont les quatre Évangiles dont la doctrine nous alimente. Le bois où Adam connut le bien et le mal, est notre libre arbitre ⁶¹». Il existe d'ailleurs dans la littérature médiévale nombre d'ouvrages à programme moins étendu portant le même titre d'Hortus Deliciarum.
L'Eglise est le Paradis, le Jardin des Délices
De la définition, telle que Honorius nous la présente, appert clairement le programme, ou du moins, l'idée fondamentale de l'Hortus. L'Église est le paradis, le Jardin des Délices. Elle est la dépositaire des Écritures, de la Sagesse divine, elle est la maison de Dieu dans l'honneur et la richesse. Le Christ est la source au milieu d'elle. Il s'agit en conséquence de la représentation de l'Église universelle par la parole et l'image, en commençant par le Paradis terrestre, à travers l'histoire de l'ancienne Loi avec toutes ses préfigures, jusqu'à l'apparition du fondateur de cette Église, Jésus-Christ. Lui est la source unique de la vraie vie, toutes les grâces émanent de Lui et préparent dans l'Église, jamais achevée ni parfaite sur cette terre, l'Église de l'au-delà, la vision de la Jérusalem Céleste. Cette mosaïque gigantesque brille de tous ses feux. Beaucoup de penseurs s'étaient inspirés de la Cité de Dieu de saint Augustin, aucun ne l'a aussi souverainement illustrée que Herrade. En raison des tendances historiques exposées plus haut, cette conception reprend toute son actualité dans le monde grégorien. Saint Augustin, se plaçant en face des desseins de la Providence sur l'Empire romain, élargit encore les horizons, et, dans un élan de génie qui transformait l'apologie en philosophie de l'histoire, il embrasse d'un regard les destinées du monde groupées autour de la religion chrétienne, religion unique, qui, bien comprise, remonte aux origines et conduit l'humanité à son terme final. La Cité de Dieu, société de tous les serviteurs de Dieu dans tous les temps et dans tous les pays du monde (sens nouveau de Civitas !), la cité terrestre ou du démon, société de tous les ennemis de Dieu, ces deux cités bâties par deux amours contraires, voilà le véritable objectif de la Providence et le triomphe de la Cité de Dieu est le vrai centre du plan divin. L'Hortus en est une transposition selon le génie du symbolisme de l'art et la spéculation théologique de l'époque, ainsi que la Chronique d'Othon de Freising dans le domaine de la politique du Saint-Empire.
Décrivons le contenu complet de l'Hortus et Dieu avant tout.
L'Hortus débute par la phrase monumentale de saint Augustin, tirée du Liber Meditationum; Deus est beatitudo, a quo, per quem, in quo beata sunt omnia quaecumque beata sunt.
« Dieu est la béatitude, de qui, par qui, et en qui tout est bonheur qui est réellement le bonheur. Dieu est la vraie vie et la plus sublime, d'où, par qui et en qui tout vit ce qui vit réellement dans le bonheur. Dieu est la bonté et la beauté, de qui, par qui, et en qui nous parvient ce qui est bien et beau. Cette idée est transcrite sur le verso accompagnant la miniature où est représentée la Majesté divine au milieu des Anges : Omnipotens Dominus divina gerens bonus exstat, le Seigneur tout puissant, le divin gouverneur, est Bonté. Par cet hymne au Créateur commence la première partie de l'Hortus, consacrée aux propriétés de Dieu et de la Trinité. 
La Création des Anges et de la Lumière (de Dieu)
Suit la Création des Anges, la révolte de Lucifer et sa chute. Arrivé au cinquième jour, il est question de la création (formation) de la Terre, de la Sphère Céleste, du Zodiaque, de la mesure du temps, du nom des mois, des chemins et des routes, le tout tiré d'Isidore de Séville. Le sixième jour de la création de l'Homme donne occasion à des considérations sur l'être humain sous l'aspect du microcosme, c'est-à-dire de l'univers en miniature, au milieu des quatre éléments : l'eau, le feu, la terre et l'air. Nous assistons au bonheur des premiers parents en conversation avec le Créateur dans le Paradis, à leur chute et leur expulsion du Paradis, avec une dissertation sur l'âme et le péché. Alors commence le chemin de la misère humaine commentée par les deux cités ennemies, Jérusalem et Babylone. L'histoire se poursuit par le Fratricide, le Déluge et la Dispersion des peuples après la tentative de la Tour de Babel. Alors l'humanité essaie de se ressaisir par ses propres forces : generis humani reparatio doctrinalis, par la Science sous la forme des Sept Arts Libéraux, du Trivium et du Quadrivium, c'est-à-dire de la Grammaire, la Rhétorique et la Dialectique d'une part, de l'Astronomie, Géométrie, Arithmétique et Musique d'autre part. Mais aussitôt l'insuffisance de ces sciences humaines est démontrée par les désordres de l'idolâtrie, le paganisme avec ses « sages ». Cette partie est assurément un point culminant de l’Hortus, dans la marche vers l'humanisme chrétien. Nous assistons ensuite à l'économie divine de la rédemption annoncée par les préfigures du Sauveur et de l'Église : ante Legem et sub Lege, c'est-à-dire avant la proclamation du Décalogue et après. Les figures sont : Abraham, Melchisédech, Isaac, Jacob, Joseph en Égypte, Moise, le Tabernacle de l'Alliance avec la hiérarchie sacerdotale, le Serpent d'airain, Josué, Samson, David, Salomon, Élie, Tobie, Judith, Esther, les Prophètes, surtout Jonas, et les Visions de Zacharie, ces dernières rapportées au nombre des Sept dons du Saint-Esprit.
Transition avec la nouvelle Alliance, 
La transition à la Nouvelle Alliance est représentée par l'opposition des Sacrifices de l'Ancien aux Vertus du Nouveau Testament. Le Christ Rex et Sacerdos, Roi et Prêtre, caractérisé par la double couronne, occupe le centre de la composition. L'Arbre généalogique du Christ ne commence pas, comme d'habitude, avec Jessé, mais avec Abraham, parce que c'est à ce dernier qu'a été promise une progéniture plus nombreuse que les étoiles du firmament et le sable de la mer. Finalement le Léviathan est pris à l'hameçon de la Croix, tiré de la mer par la Divinité pour rendre à jamais inoffensif cet ennemi du Sauveur. Toute l'histoire se trouve enfin résumée depuis Abel jusqu'à Tibère par des extraits du Chronicon de Frechulfe.
Les nouveaux temps, Saint Jean Baptiste, Jésus
Les Nouveaux temps sub Gratia commencent par l'histoire de saint Jean-Baptiste et continuent normalement par l'Annonce à Marie, la Nativité du Christ, l'Adoration des Mages, la Fuite en Égypte et le Retour, le Massacre des Innocents, jusqu'au Baptême du Christ dans le Jourdain, puis la Vie publique, depuis les Tentations jusqu'à la Passion. Les Miracles et les Paraboles sont largement interprétés par le texte et les images. Nous relevons presque tous les miracles, dont le « Catalogue » des scènes illustrées est plus complet qu'il n'était encore à l'époque carolingienne ou othonienne. Ce sont : la Prédication de Jésus dans la Synagogue, une Guérison de Possédés et de Malades, le Sermon sur la Montagne, la Guérison du Fils du Centurion, celle de la belle-mère de Pierre, la Parabole du Figuier stérile (Jésus expulsé de la Synagogue), la Parabole des ouvriers dans la Vigne avec trois scènes, la Parabole du Semeur, celles du Bon Samaritain, des Talents, du Débiteur insolvable, la Prédication de la fin inopinée de l'homme ; deux personnes dans un lit, deux dans un moulin, deux à la charrue (Jésus pleurant sur Jérusalem), l'Adolescent riche qui ne suit pas le Maître, la Multiplication des cinq pains (Jésus commandant la Tempête), Pierre marchant sur les eaux, la Femme cananéenne, le Sermon sur le lac de Tibériade, la Guérison du sourd-muet, la Multiplication des sept pains, la Guérison du lunatique, Jésus et les petits enfants, la Transfiguration, la Guérison de la main desséchée, l'Expulsion des sept esprits impurs de Marie, la Guérison de la Femme hydropique, les paraboles du Festin, du Bon Grain et de l'Ivraie, de l'Homme qui bâtit sur le rocher et sur le sable, la Guérison du Paralytique descendu par le toit, celle de la Fille de Jaïre, de deux démoniaques, la Parabole du Mauvais Riche et du Pauvre Lazare, la Guérison des Dix Lépreux, Jésus et la Samaritaine, la Femme adultère, la Guérison du fils du Regulus, l'Expulsion d'un Esprit muet, la Parabole des Ouvriers dans la Vigne - deuxième moitié - l'assassinat du Fils du Roi, l'Expulsion du convive sans vêtement nuptial, l'Onction des pieds de Jésus par Marie-Madeleine, le Lavement des pieds des Apôtres par le Christ.
La passion, la résurrection, l'Ascension, la Pentecôte
L'Histoire de la Passion est également très détaillée : Jésus au Mont des Oliviers, les Disciples dormant, l'Arrivée des bourreaux, l'Arrestation du Christ, la Fuite des Disciples, Jésus devant Caïphe, la Fuite de Jean, Pierre pleurant, la Pendaison de Judas, Jésus aux outrages, le Triple reniement de Pierre, Jésus devant Pilate, devant Hérode, la Flagellation, le Couronnement d'épines, l'Ecce Homo, le Songe de la Femme de Pilate envoyant à son mari un messager, Pilate lavant ses mains, le Portement de la Croix, Jésus mis en Croix. La Crucifixion est accompagnée d'un riche symbolisme. Le Tirage au sort de la tunique, la Descente de Croix, la Complainte (épitaphios thrênos), le Ressuscité et ses apparitions, la Mission des Apôtres, le Dernier repas du Seigneur au milieu de ses disciples et l'Ascension, puis la Descente du Saint-Esprit.
l'Histoire Evangélique - le combat des Vertus et des Vices
L'Histoire évangélique se poursuit avec quelques infiltrations apocryphes, par la présentation des personnalités des saints Pierre et Paul, et de saint Jean comme protecteur de la Vierge Marie ; l'un et l'autre sont les patrons des âmes vierges. Avec le Baptême de l'Éthiopienne par Paul, s'ouvre une nouvelle phase de l'histoire du Salut : l'entrée en scène de l'Ecclesia ex gentibus. L'Église universelle est conduite par les Apôtres vers le Christ pour être couronnée. A cette époque correspondent les passages tirés de Frechulfe, allant du temps des Apôtres jusqu'au détrônement de l'empereur par Héraclius, c'est-à-dire jusqu'à l'hégémonie de la Rome Chrétienne. A l'intérieur de l’Église, dans l'âme de chaque chrétien, la lutte des Vertus s'engage. Jusqu'à l'achèvement de la construction de l’Église idéale, il faut le concours unanime des Vertus dans le Combat contre les Vices. Ce thème occupe de longues pages de façon poignante et dramatique, en s'inspirant à la fois des charges de la chevalerie de l'époque et, de loin, de la Psychomachie de Prudence⁶². Les deux camps se livrent bataille alternativement. Les femmes-guerrières se présentent dans les armures les plus diverses. Toutes portent le haubert (cotte de mailles), le casque à nasal, des lances, des boucliers et des épées. La Luxure opère par des moyens propres : Elle s'avance avec une suite nombreuse sur un char d'or et de pierres précieuses, en lançant devant elle des violettes. Elle est renversée avec toute sa suite par la Tempérance. L'Avarice et la Miséricorde occupent deux grands médaillons dans le genre de ceux de l'Ancien et du Nouveau Testament. 
avènement du Christ-Salomon
Après le combat acharné, d'où les Vertus sortent toutes victorieuses, la paix se fait. C'est à présent l'avènement du Christ-Salomon sur son lit décrit dans le Cantique des Cantiques. Le lit d'apparat est gardé par soixante forts d'Israël. Lui, assis à table, est servi par la hiérarchie de l'Église. Il fait construire le Temple, reçoit la visite de la reine de Saba, qui est la personnification de la plus haute sagesse humaine. Le sujet de leur conversation - Ils sont assis sur le même trône - conduit à l'aveu de la vanité des vanités des choses humaines. Ainsi Salomon, du haut de son trône, contemple le jeu des marionnettes, la roue de Fortune qui tourne impitoyablement pour le favorisé comme pour le malheureux. Plus loin, nous verrons le symbolisme du trône aux lions que Salomon fit édifier. L'idée du combat contre les embûches du monde est reprise. C'est l'échelle des Vertus, la Scala caritatis de Jean Climaque, allant de la terre jusqu'au ciel, qui sert de champ d'épreuves. Tous, l'un après l'autre, depuis le chevalier et sa femme, jusqu'à l'ermite, tombent de l'échelon déjà atteint parce qu'ils n'ont pas poursuivi, jusqu'à la fin, la lutte contre les égoïsmes respectifs de leur état. Les démons assaillants ont beau jeu à faire choir les victimes, du haut de l'échelle. Seule, la Caritas atteint le sommet et reçoit la couronne d'or de la main divine. Herrade ne sait comment assez prévenir ses administrées contre les sollicitations du monde : Ulysse et les Sirènes offrent des sujets tirés de la mythologie antique, dans une série de compositions originales. Suit l'image des Loups (Renards) ravageant la vigne, tirée du Cantique des Cantiques ; finalement l'Église richement parée est introduite dans le cellier par le Christ lui-même.
La hiérarchie de l'Église prend place sous une construction à riche architecture rappelant les villes sur les sceaux contemporains. C'est la Cité chrétienne dans sa vie organique. On y entre par le Baptême ou par la Pénitence, représentés par les figures d'Isaïe et de David, placées sous les portails. Tous les membres y trouvent leur rang, clercs et laïcs, selon leur importance dans l'Église enseignante comme dans le corps des fidèles. Des exposés sur la vie intérieure et mystique s'étendent sur de nombreuses colonnes. Sont traités l'Église matérielle comme bâtiment, le vêtement liturgique, la Dédicace, les obligations de chaque dignité ou charge, à commencer par celle du Pape. Des extraits des Décrets des Conciles dénoncent les ennemis cachés et ouverts de l'Église, parmi lesquels on reconnaît les jongleurs, les sorciers, les diseurs de bonne aventure, les pénitents hypocrites, les usuriers et les simoniaques. Tous sont expulsés de l'Église. Le pécheur peut cependant rentrer dans la communauté chrétienne ; son pardon est figuré par la guérison du lépreux. La véritable perfection, la véritable richesse de l'âme sont représentées par la Colombe d'or aux ailes d'argent (cuius pennae deargentatae et posteriora dorst eius in pallore auri. PS. 67, 14). La fructification de nos œuvres est assurée par le Christ foulant seul le pressoir. L'idée de cette miniature en forme de rosace est neuve dans l'iconographie et pleine d'enseignement. Tous les organes de l'Église, clercs et laïcs, s'avancent avec des corbeilles de raisins, les déversent dans le pressoir, d'où le Christ, en les foulant, fait couler le jus mystique pour abreuver les fidèles. 
Le Jugement Dernier
L'ultime chapitre du drame de l'humanité s'ouvre par les signes précurseurs de la fin du monde. Il est rempli de visions apocalyptiques. La première scène commence par l'activité de l'Antéchrist ⁶³: il tranche la tête à Élie et à Enoch, séduit les rois, les prêtres et les peuples par sa fausse doctrine, opère de faux miracles, torture et martyrise les fidèles ; mais son règne n'est pas de longue durée. Il est abattu par un ange vengeur. Les hommes séduits viennent à résipiscence, la Synagogue se fait baptiser. Enfin s'ouvre la Cour céleste et le Jugement dernier s'annonce. Cette composition grandiose est répartie sur plusieurs pages. L'univers est consumé par le feu et réduit en poussière. Un nouveau Ciel et une nouvelle Terre apparaissent. Tous les hommes sont cités devant le Juge qui trône au-dessus de l'Étimasie (note, « trône vide dans l’attente du retour du Christ- la parousie ») : deux anges tenant les instruments de la Passion des deux côtés du Livre de Vie placé sur un trône. Près d'eux sont agenouillés Adam et Ève délivrés. A côté du Juge, les Apôtres sont les assesseurs, avec la Sainte-Vierge et saint Jean-Baptiste comme intercesseurs. Toutes les catégories du genre humain s'avancent pour écouter la sentence. Les damnés, parmi lesquels figurent les représentants de tous les états, sont chassés par les anges dans le fleuve de feu, qui prend sa source sous les pieds du Christ même. Cette représentation du Jugement dernier est la plus complète et la plus caractéristique des compositions sous l'influence byzantine. A la fin, Satan est maîtrisé et enchaîné. L'image en pleine page de l'Enfer montre sur plusieurs registres toutes les tortures imaginables que le diable et ses aides font subir aux voluptueux, avares, femmes coupables d'avortement, juifs, chevaliers indignes, etc., avec au fond Satan et son fils l'Antéchrist.
De la fin de la Grande Babylone à la Joie des Elus au sein d'Abraham
Une fois encore la lutte entre les deux cités ennemies est évoquée. De grandes compositions s'opposent avec la Babylone pécheresse et la Femme apocalyptique. La première assise sur l'animal écarlate à sept têtes et dix cornes, est chargée de blasphèmes. Royalement vêtue, elle offre au monde ébloui le gobelet de la Luxure ; mais déchue de sa monture monstrueuse, elle se voit forcée de reconnaître la victoire finale de son adversaire, L'extrême fin présente la joie des Élus dans le Paradis éternel, et se ferme sur le sein d'Abraham.
Essai de Comput
Comme supplément suivent un Martyrologe et un Comput, c'est-à-dire un calendrier et deux tables permettant de déterminer la Pâque, l'une allant de 1175 à 1706, l'autre de 1156 à 1687. L'étude de ces éléments chronologiques, comme l'avaient entreprise Piper et Charles Schmidt ⁶⁴, exigerait une longue dissertation. Sur la foi de docteurs plus anciens, Bède, Raban Maur, Walafrid Strabon, l'Hortus précise dans le Calendrier la date des événements essentiels de l'histoire du monde. Ainsi la Création est placée au 18 mars, Adam a été créé à la deuxième heure, Ève à la sixième, et aussitôt elle a saisi la pomme pour l'offrir à Adam. A la neuvième heure, ils sont chassés du Paradis. Le Déluge commença le 17 avril, pour prendre fin le 27 mai. Moise mourut le 4 septembre. Le 7 janvier, Jésus et ses parents revinrent d'Égypte, le 5 février se terminèrent les Tentations, le 1er mai, Jésus fit sa première prédication, le 16 août eut lieu la Transfiguration, le 25 mars la Crucifixion, et le 27 suivant la Résurrection, etc. Ces précisions appartiennent à une conception plutôt symbolique que chronologique du calcul du temps. Les auteurs de l'Hortus avaient trouvé toutes ces dates dans des ouvrages plus anciens. Au siècle, celle de la Résurrection n'était plus en vigueur, autrement ils n'auraient pas inséré le De inventione pascalis temporis, où il était rappelé que Pâques tombe au premier dimanche après la pleine lune qui suit l'équinoxe du printemps. Pour calculer ce jour, on avait ajouté un comput fort compliqué. Les deux tableaux qui résument la méthode à suivre, sont plus difficiles à comprendre que le Calendrier écrit uniquement dans des signes conventionnels. Ceci est la raison pour laquelle nous n'insistons pas sur ce travail, à moins que nous nous résignions à reproduire aussi les tables du cycle dionysien et le poème de 116 hexamètres qui doivent aider à déterminer l'intervalle entre Noël et le premier jour du Carême, de 1176 à 1706. Le nombre de lettres de chaque mot du poème indique le nombre des semaines comprises dans cet espace de temps ; le nombre de points au-dessus d'un mot indique le nombre de jours à ajouter à ces semaines ; s'il n'y a pas de point, cela signifie que Noël tombe sur un dimanche ; enfin la lettre B au-dessus d'un mot veut dire que l'année est bissextile.
La donation du Mont et la congrégation de Relinde et d'Herrade
Deux miniatures à pleine page sont consacrées au monastère de Hohenbourg. La première représente la fondation par Etichon et la consécration par le Christ, l'autre la présentation de tous les habitants du monastère, la Congregatio religiosa temporibus Relindis et Herradis abbatissarum in dei servitio in Hohenburg caritative adunata: la congrégation religieuse du temps de Relinde et d'Herrade abbesses, réunie charitablement pour le service de Dieu. Chaque moniale est marquée de son nom.
Bible moralisatrice ou Recherche de d'une doctrine
Cette promenade rapide à travers le Jardin des Délices, nous révèle les tendances générales du temps. Une fois de plus, la spéculation se reprenait à entrevoir la construction de la Cité de saint Augustin comme l'ont rêvée Hugues de Saint-Victor, Honorius, Othon de Freising, Pierre Lombard, Saint-Thomas d'Aquin, Vincent de Beauvais et, un siècle plus tard, Dante. Les preuves en apparaissent sur chaque page de l'Hortus, plus encore dans les miniatures. Cette constatation nous permet de le ranger dans le mouvement littéraire et théologique de l'époque. Nous sommes au début des temps glorieux de la Scolastique. Jusque-là, la Théologie était l'exégèse de l’Écriture avec un but moralisant et allégorique sous forme de compilation de textes. Pour l'explication, on se laissait guider moins par les principes de grammaire ou d'histoire, moins par des recherches personnelles sur les idées et la suite des textes entre eux, que par la collection d'extraits de la littérature patristique sous forme de Florilèges et de Sentences. Ces collections démontrent la recherche de nouvelles voies ; on y trouve parfois des essais de systèmes. Les textes patristiques sont groupés selon des points de vue déterminés, sans toutefois forcer la tendance, ce qui a permis la transition des Collections de Sentences aux œuvres de la première Scolastique. Tout cet antique dépôt tendait vers un système organique, vers la construction définitive du monde spirituel médiéval. Déjà à la préscolastique et au seuil de la haute scolastique, nous rencontrons des esprits qui produisent dans un grand élan d'universalité et dans un esprit de travail illimité des traités sur toutes les branches du savoir humain.
 En examinant l'Hortus Deliciarum du haut de ces horizons, nous devons nous demander si, pour sa confection, il n'existait déjà des collections toutes faites, «Autoritates», ou si l'on s'est servi directement des textes originaux des Pères, ce que l'on peut constater dans bien des manuscrits du XI ͤ et XII ͤ siècle, destinés à l'enseignement théologique. Le premier procédé ne saurait être retenu pour l'Hortus ; au contraire, l'apport des auteurs anciens vis-à-vis des auteurs plus rapprochés, les tendances littéraires et iconographiques nous forcent d'admettre le recours aux sources originales. C'est là que se manifeste la concordance du génie ordonnateur et de la haute spiritualité, preuve d'un universalisme aux vastes horizons issu du programme même de l'Hortus. Cette constatation nous force à considérer cette œuvre comme inspirée du génie scolastique uniquement à sa périphérie. Comme preuve irréfutable on n'a qu'à constater quelle place est faite au Magister Sententiarum, de Pierre Lombard, assez parcimonieuse dans le corps même du manuscrit, tandis qu'à la fin se suivent interminablement de longs chapitres de ce maître. Le désir de réunir en un seul système la variété des sujets, la tendance vers un système plus serré est apparente. Les écrivains de l'Hortus étaient à la fois gênés et libres ; gênés parce qu'ils ne considéraient pas le système d'un Yves de Chartres, d'un Pierre Lombard, comme propre à imiter ; libres parce que, fidèles à la pensée de la Concordia veteris et Novi Testamenti, ils introduisirent comme nouvel et essentiel élément 344 miniatures pour ouvrir par cette voie uniquement artistique la marche au Salut.
En conséquence, l’Hortus n'est pas une Bible moralisée, comme p. ex. l'Historia scolastica de Pierre Comestor, mais une œuvre encyclopédique unique de la Doctrine du Salut, mettant à profit toutes les ressources littéraires et artistiques, depuis les témoins les plus anciens jusqu'aux productions les plus « modernes ». Cette constatation n'explique pas entièrement le caractère encyclopédique de l'Hortus. Il faut recourir encore à d'autres sources ou origines. Si dans la littérature encyclopédique chrétienne notre manuscrit prend la place que nous venons de lui assigner, i1 faut toutefois remonter plus haut dans le genre des compilations du savoir humain. Les prédécesseurs s'annoncent dès l'antiquité. Le plus grand polyhistorien est un contemporain de Cicéron, Térence Varron, par son Disciplinarum Libri, où sont présentées la Grammaire, la Dialectique, la Rhétorique, la Géométrie, l'Arithmétique, l'Astronomie, la Musique, c'est-à dire les Sept Arts Libéraux du Trivium et du Quadrivium, enrichis de la Médecine et de l'Architecture; ces Arts libéraux deviendront par l'entremise de Martianus Capella, de saint Augustin et de Boèce le point de départ du système des sciences humaines du Moyen Age. Pline l'aîné donne dans son Historia Naturalis des extraits d'environ deux mille écrits de cinq cents auteurs différents. Le roman encyclopédique De Nuptiis Philologiae et Mercurii de Martianus Capella, rhéteur de Carthage (ve s.), s'est chargé de la même besogne, ainsi que le grand conseiller de Théodoric, Cassiodore, qui composa pour les moines de son Vivarium les Institutiones divinarum et humanarum rerum, renfermant naturellement aussi les Arts Libéraux. C'est surtout Isidore de Séville (VI ͤ– VII ͤ s.), qui a transmis au Moyen Age les trésors littéraires. Ses Origines seu Etymologiarum libri XX sont la compilation encyclopédique de son époque. Il y traite en plus des Arts libéraux ; la Médecine, la Jurisprudence, les Livres bibliques, la Hiérarchie céleste, les Églises, les Langues, les Étymologies... Dans la même lignée se rangent Bède le Vénérable, Alcuin, Raban Maur avec son De Rerum Natura ( = De Universo). Son manuel ouvre la période scolastique. A ces auteurs, il faut ajouter l'anonyme (Ansileubus ?) qui a composé au VIIIe siècle le Liber glossarum, original par la disposition des articles selon l'ordre alphabétique, ce qui présente en somme le premier dictionnaire de références classées. Il en existe des exemplaires avec des gloses allemandes qui n'étaient pas inconnues des auteurs de l'Hortus.
L'importance bysantine
Dans le monde byzantin le X ͤ siècle dresse l'inventaire de ses richesses. C'est le siècle des encyclopédies historiques, juridiques, administratives, grammaticales, scientifiques, hagiographiques. Sur ces bases, les siècles suivants travailleront. Cette période a vu successivement fleurir, au IX ͤ siècle un Photius, savant prodigieux, au XI ͤ un Psellos, génie universel, le plus puissant et le plus novateur de son temps, et une légion de poètes, de philosophes, d'historiens.

A côté du problème historique et littéraire, se présente celui de l'illustration par les miniatures et leur valeur archéologique et artistique. Cette entreprise vise autant la provenance des thèmes au point de vue iconographique que le style et la technique. Dans le domaine de l'histoire de l'art, ce chapitre est assurément le plus important.
Nous avons déjà vu que l'Hortus Deliciarum était orné de 344 miniatures. Ch. Schmidt prétend qu'il y en avait 636 ⁶⁵. Il manque aujourd'hui les calques de 90 sujets. Sous réserve de nouvelles trouvailles, nous supposons que lors de la confection des calques, les feuilles des sujets manquants avaient déjà disparu, car c'est toujours par séries que se présentaient ces lacunes. Le catalogue complet des miniatures avait été établi avant la mutilation du manuscrit. Les compositions les plus importantes nous sont toutefois conservées.
Pour l'illustration, notre documentation peut se baser actuellement sur :
1/ 1'ouvrage d’Engelhardt, de 1818, avec les douze planches gravées; quelques exemplaires ont été coloriés à la main.
2/ Le volume Engelhardt manuscrit no 955 de la Bibliothèque de la Ville de Strasbourg, contenant des calques de valeur très inégale ;
3/ le fonds Piper du Cabinet des Estampes de Berlin, inaccessible à présent, peut-être détruit.
4/ le fonds du comte de Bastard à la Bibliothèque Nationale de Paris, Département des Manuscrits (fac-similés) cote FO 8, Tome XI, et Cabinet des Estampes, cote A d 144 a ;
5/ les calques du chanoine Straub connus uniquement par sa grande publication. Ceux-ci se trouvaient dans sa succession chez le chanoine Keller dont la bibliothèque et la documentation sur l’Hortus furent malheureusement dispersées;
6/ Les calques que l'habile et regretté Steinheil avait pris sur l'original; les doubles de ces calques possédés par M. Darcel; enfin quelques dessins exécutés jadis par M. Paul Durand et qui sont maintenant entre les mains de son frère M. Julien Durand ⁶⁶. Ces calques nous sont restés inconnus.
Parmi cette documentation qui prouve l'intérêt éveillé avant et après la destruction de l'Hortus, les copies de Bastard occupent pour la fidélité, la première place. Léopold Delisle dit à ce sujet : « Les calques de M. de Bastard sont d'une exécution supérieure à ceux dont la Société pour la Conservation des Monuments historiques s'est servie pour le recueil du chanoine Straub, intitulé : «  Hortus Deliciarum... ». Il est par conséquent évident que nous reproduisons de préférence les documents Bastard au complet en faisant appel à d'autres, indispensables à la marche des idées à travers le manuscrit. Ainsi, malgré la limitation qui nous est imposée, nous aurons une connaissance assez exacte de l'ensemble au point de vue du système iconographique et, concurremment, du style et du contenu.

Tout d'abord il importe d'envisager la question, à notre avis capitale, du caractère byzantin d'une grande partie des miniatures. S'il est possible de la résoudre dans son ensemble, il s'en posera une autre, non moins importante : celle de l'apport personnel et de la concordance entre l'illustration et le texte. Cette juxtaposition permettra d'apprécier l'Hortus à sa juste valeur au point de vue archéologique.
Déjà, en 1818, Engelhardt avait dit « combien il serait important pour l'histoire de l'art de découvrir les voies par lesquelles les modèles ou prototypes byzantins sont parvenus jusqu'au couvent alsacien ». Même idée exprimée dans la préface « Récemment il nous était possible de voir confirmer nos observations par l'étude de manuscrits de la Bibliothèque de Paris. Cette constatation déjà faite par d'autres, assez souvent, consiste dans le fait que les miniaturistes du Moyen Age connaissaient des prototypes, surtout pour les scènes bibliques, provenant du monde byzantin, d'où ils sont arrivés d'assez bonne heure en Occident. Dans les costumes, ces artistes se permirent des modifications en les adaptant à leur époque ; ainsi nous avons reconnu l'identité de l'Annonciation avec celle du manuscrit 1809 de la Bibliothèque Royale, à l'usage de l'empereur Basile de Macédoine ou d'Eudoxie, son épouse » ⁶⁷. Dès 1843 1'archéologue et archiviste Schnéegans constata dans certains vitraux de la cathédrale de Strasbourg des influences byzantines, ainsi que Petit-Gérard et, probablement, suivant la pensée d'Engelhardt, i1 releva, en 1853, la parenté étroite entre ces vitraux et les miniatures de l'Hortus. L'idée de l'influence byzantine fut reprise par Straub et Keller dans leur grande publication, sans que toutefois lui fût consacrée une attention plus soutenue. De même Arthur Haseloff, dans son aperçu sur la Miniature dans les pays cisalpins se contente de constater le même phénomène : « La décoration, comme le texte garde les traces de nombreux modèles : traces d'influence occidentale et byzantine, innovations, vieilles traditions s'entrecroisent dans l'esprit de l'artiste » ⁶⁸. Toutes ces observations et appréciations gardent encore aujourd'hui leur valeur. L’auteur qui s'est attaché ex professo à ce problème, est Otto Gillen dans Iconographische Studien zam Hortus Deliciarum (Berlin 1931) ⁶⁹. Les résultats de ce travail qui se base sur une investigation minutieuse, sont à retenir. Comme sujet principal et point de départ, cet auteur a choisi le Jugement dernier, dont i1 a déterminé les éléments corrélativement au monde byzantin et à l'apport personnel des miniaturistes du XIIC siècle ; mais le fond du problème lui restait insoluble parce qu'il s'est borné au problème morphologique.
Pour notre analyse il faut tout d'abord distinguer style et iconographie. Avant l'apparition de l'Hortus, il est impossible de parler, en Alsace, d'un style régional de miniatures. Les manuscrits qui nous restent et ceux dont nous avons une connaissance indirecte, témoignent du mouvement de l'art en général. Ils n'ont que la valeur d'un synchronisme. Ainsi les manuscrits se rattachent aux productions de trois genres de renaissance : carolingienne (« style Charlemagne »), othonienne et romane. L'aboutissement est en quelque sorte le retour à l'antiquité épurée. Les manuscrits illustrés d'origine alsacienne ou qui sont intimement liés à la vie spirituelle du pays, sont peu nombreux ; ils sont les tristes épaves de naufrages successifs. C'est d'abord les quelques pages à décor mérovingien de la Collection de Canons de l'évêque Racchion du VIIIe siècle (détruit en 1871) ; Otfrid de Wissembourg du IX ͤ siècle (à Vienne) ; l'Évangéliaire de l'abbaye d'Erstein, IXe siècle, trahissant des influences insulaires et messines (à Wolfenbüttel) ⁷⁰; l'Évangéliaire d'Erchenbald, exécuté à la Reichenau, Xe s., rentrant dans le groupe du moine Eburnand (Société industrielle à Mulhouse) ; le riche Codex Guta-Sintram de Marbach (Grand Séminaire de Strasbourg) ; l'Évangéliaire de Marbach (Bibliothèque de Laon), - ces deux derniers du milieu du XII ͤ siècle, ainsi que le Calendrier illustré de Wissembourg (Wolfenbüttel XIIe s.) ; l'Évangéliaire d'Alspach, passé à Zwiefalten par Hirsau (Stuttgart), dont certaines miniatures témoignent de l'influence du style monastique bavarois, d'autres d'écoles françaises. Nulle part on ne découvre l'influence byzantine directe. 
La situation est identique pour l'iconographie, dans le monde germanique jusqu'à l'époque othonienne. On s'attendrait à ce que les témoins les plus éloquents qui sont les manuscrits liturgiques se montrent révélateurs pour l'influence byzantine ; notre enquête a eu un résultat négatif. Parmi les manuscrits les plus célèbres hors de notre pays, tels le Codex Egberti (vers 980) et tout le groupe issu de la Reichenau, de Cologne, d'Echternach, de Ratisbonne, de Hildesheim, aucun ne laisse prévoir l'Hortus Deliciarum. Tous les motifs d'architecture, de costume n'y ont qu'une valeur décorative. La construction de la figure humaine isolée ou par compositions entières reste à découvrir. Tout au plus entrevoit-on les influences orientales dans le beau Sacramentaire que l'empereur Henri II offrit au dôme de Bamberg (école de Ratisbonne. CLM. 4456), dont l'image du couronnement de l'Empereur par le Christ a pu s'inspirer d'une mosaïque byzantine. Nous ne voyons pas la même influence dans l'application d'éléments qui ne relèvent pas de l'art, mais d'une technique découlant d'une pratique patiente sans génie d'invention. Dans l'Évangéliaire d'Othon III à Aix-1a-Chapelle, p. ex., le miniaturiste se vit obligé de recourir à l'expédient d'un triple système d'architecture pour l'onction des pieds du Christ par Marie-Madeleine. Les personnages inventés par ces écoles sont placés, par le fond d'or, pratiqué particulièrement à la Reichenau, dans un monde irréel. Ils sont d'une austérité qui trahit la haute lutte, d'héroïques schémas, vêtus d'on ne sait quel costume, plus soucieux de conquérir l'au-delà que le monde présent. Toutes ces productions relevant du génie liturgique poussé à sa plus haute perfection dans les monastères, laissent entrevoir l'ambiance, l'ameublement, les trésors d'une richesse dont les anciens inventaires seuls nous parlent.
Caractère didactique, encyclopédique et non liturgique
Conformément à son caractère didactique, encyclopédique et non liturgique, l'Hortus se place sur un terrain complètement différent et se crée un style d'un nouveau type.

Le but doctrinal de l'Hortus, son format même, a ainsi créé un type physique d'un réalisme inconnu jusqu'alors. Que les personnages soient vêtus à l'antique ou à la moderne, l'étude du costume découvre presque toujours l'interprétation du corps humain bien étudié ; le caractère uniquement symbolique est abandonné.

Il fallait arriver au tournant de l'histoire de l'art dans le dernier quart du XII ͤ siècle pour voir réunies toutes les conditions d'où pouvait sortir une œuvre aussi grande et homogène que notre manuscrit.

Nous avons déjà esquissé le monde politique et spirituel en Alsace et tout l'élan créé par cette atmosphère. Pour arriver à des résultats positifs dans le domaine de l'art, il nous faut diriger les recherches vers les pays d'origine de l'architecture, de la sculpture et de la peinture de cette époque. Si tout le monde est d'accord sur le caractère byzantin d'une grande partie des miniatures de l'Hortus, il n'en va pas de même pour déterminer le chemin par lequel les compositions, les thèmes iconographiques nous sont parvenus, ce qui doit être notre préoccupation primordiale.
L'art bysantin et les ouvriers grecs
Entre la fin du IX ͤ et la fin du XII ͤ siècle l'art byzantin a connu une magnifique renaissance produisant des fruits admirables qui, en Occident, ne purent être recueillis que par la cour impériale, les centres culturels et artistiques tels les cathédrales et les grands monastères. Non seulement la Sicile et l'Italie fortement byzantinisées, mais encore l'Allemagne furent à cette époque tributaires des artistes de Constantinople. Les documents sur le rôle joué en Allemagne par les représentants de l'art byzantin, rôle qui s'explique si bien par les relations constantes et les conflits d'intérêts des empereurs latins et grecs, sont même à ce sujet infiniment instructifs. Une impulsion directe fut exercée par Théophano, la Grecque, propre petite-fille de Constantin Porphyrogénète et épouse d'Othon II, fils d'Othon Ier et d'Adélaïde. Sans parler des présents somptueux que Théophano avait apportés en 972 à son impérial époux lors de son mariage célébré à Rome, auquel assista l'évêque Erchenbald de Strasbourg — joyaux de l'art byzantin que les chroniqueurs citent avec admiration, - sans parler des circonstances du mariage avec Othon : heureux événement qui fit pénétrer en Allemagne de façon officielle, les productions artistiques les plus précieuses de l'Empire d'Orient et y attira les artistes grecs, les historiens sont unanimes à constater dans les mœurs de la cour germanique sous le règne d'Othon II, comme sous celui d'Othon III, d'innombrables infiltrations byzantines. Othon II adopta, on le sait, le luxe et le cérémonial du Basileus de Constantinople, et nous verrons son exemple suivi, même fortement dépassé, par son fils. Ce dernier, dans sa célèbre lettre à Gerbert, le futur pape Sylvestre, se qualifiait de Grec et se moquait de la rudesse des Saxons. Lors de la régence, durant la minorité de son fils, Théophano prit comme Théodora, comme Irène, personnellement le titre d'Imperator. Après la mort de Théophano, Adélaïde, sa belle-mère, accourut d'Italie pour prendre en main la régence, le petit Othon III n'ayant que onze ans. Un frère supposé de Théophano, le prince Grégoire, fonda aux portes d'Aix-la-Chapelle le couvent de Burtscheid. 
Les moines grecs itinérants
L'évêque Godehard d'Hildesheim, mort en 1038, fit un règlement pour les moines grecs itinérants. Vers le milieu du Xo siècle, la Reichenau hébergeait plusieurs moines grecs. Un biographe de l'évêque Meinwerc qui gouverna l'église de Paderborn de 1009-1036, raconte que la Chapelle de cette ville, Saint-Barthélemy, fut construite par des ouvriers grecs. Un psautier grec de Saint Géréon de Cologne contient des prières qui prouvent que ce livre servait aux offices du rite grec, et l'inventaire de l'abbaye d'Erstein (X ͤ s.) ⁷⁰ mentionne parmi ses richesses un Sigillum aureum atque opere graeco factum... Un inventaire de Wissembourg se sert du même terme. Ces influences byzantines ne disparurent pas avec les Othons, on en trouve des traces nombreuses jusque sous le règne d'Henri II (1002-1024), cousin et successeur d'Othon III. Celui-ci avait appris le grec par Jean de Calabre, mais son second précepteur était le fameux Bernward, évêque d'Hildesheim, « architecte, peintre, sculpteur, mosaïste, orfèvre ». Il cultivait, nous dit son biographe Tangmar, toutes les branches des arts libéraux et industriels. Il avait réuni des jeunes artistes qu'il menait avec lui à la cour ou qu'il faisait voyager pour qu'ils étudiassent ce qui se faisait de mieux dans les arts. L'activité d'hommes comme Bernward dut avoir une grande influence sur la création d'un art nouveau, né à ce moment, et qui, en s'assimilant des éléments nouveaux, constituera le bel art allemand du siècle. Wernher I, le futur grand évêque de Strasbourg (1001-1028), condisciple d'Henri II à cette célèbre école, se mit à son tour à entretenir des rapports entre les cours d'Allemagne et de Byzance. Son ambassade en 1027-1028 pour quérir à Constantinople, auprès du Basileus, une épouse pour le petit prince Henri, fils de Conrad II, s'est cependant révélée comme une folie indéfendable : ne songeait-on pas à unir à un enfant de dix ans, une vieille porphyrogénète de cinquante ! De cette époque, il reste dans notre voisinage le fameux retable d'or de la cathédrale de Bâle (au musée de Cluny) et un siècle plus tard, les deux reliquaires de Reiningen (Haut-Rhin). Peut-être la croix d'or monumentale couverte de gemmes et de reliques de la Cathédrale de Strasbourg, disparue depuis l'occupation de l'église par les protestants, remontait à cette époque. Tout ce que nous savons d'ailleurs sur le trésor de la Cathédrale de Strasbourg, dont aucune pièce ne subsiste, n'a qu'un intérêt historique et liturgique.
L'art bizantin se répend en Italie, à Venise, à Palerme
La situation dans le domaine de l'art prouve à l'évidence que la culture byzantine continua à s'exercer dans nos régions comme en Italie, de Venise jusqu'à Palerme. La pénétration de l'art byzantin dans le monde occidental comportait cependant infiniment plus qu'une nouvelle technique perfectionnée, un style plus raffiné. Ces éléments n'étaient que le support d'un monde spirituel se manifestant, dans l'art de la miniature autant que dans la mosaïque, par l'iconographie.
34-35 La gestation des messages chrétiens et de son iconographie s'est faite en Orient
Née en Orient, l'iconographie ou la doctrine chrétienne en images, nous est arrivée toute constituée. Ce ne sont pas nos artistes qui, méditant sur le texte sacré, ont conçu les scènes de l'Évangile ; ils les ont reçues d'un monde lointain où les conditions de leur élaboration furent autrement favorables. Pour arriver à comprendre la genèse des scènes de l'Écriture dans l'Hortus Deliciarum, il faut les examiner avec une attention soutenue. On sera surpris de voir à quelles stratifications notre recueil doit certains sujets et des compositions entières. Où et comment se sont constituées ces compositions chrétiennes qui, désormais, vont devenir classiques ? Nous en devons la réponse aux travaux d'une magnifique phalange d'explorateurs iconographes qui ont démontré qu'il faut chercher en Palestine les origines de la théologie monumentale. C'est de Jérusalem, grâce à la vénération universelle qu'inspiraient les souvenirs de la vie et de la mort de N.-S., que ces images se répandirent naturellement dans toute la chrétienté ⁷¹. Sur une des fameuses ampoules de Monza on reconnaît p. ex. déjà l'Ascension du Christ de l'Hortus. Une série de compositions fixées dès le VIO siècle, se retrouvent au XII" dans les mosaïques de la chapelle palatine à Palerme et à Saint-Marc de Venise. Le Jugement dernier de Torcello est identique à celui de notre manuscrit. Se sont fixés aussi les types du Christ, de la Vierge, de l'ange, des prophètes et des apôtres. Dans l'Hortus encore, nous voyons les anges près du trône du Christ comme les gardes de la cour impériale dont ils portent les attributs. La cour céleste est complétée par les prophètes de l'Ancien Testament, qui, vêtus de draperies hellénistiques, présentent le rouleau sur lequel se lit un verset tiré de leurs prophéties. C'est la tendance à fixer toutes choses, composition et types, en formules immuables, qui constitue le côté caractéristique de cet art byzantin. Beaucoup d'acquisitions nouvelles enrichiront au cours des siècles l'iconographie ;les anciens thèmes se transformeront par le changement des attitudes, l'addition des personnages ou de motifs nouveaux ; des variantes nombreuses, en étendant ou en restreignant le développement de la composition, lui donneront comme un aspect jusqu'alors inconnu, un constant mouvement d'évolution renouvellera cet art.
Rome a propagé l'art byzantin, dont treize Papes grecs
Rome aussi a joué un rôle important dans la propagation de l'art byzantin en Occident. Au VIF siècle, Rome était une ville à moitié byzantine. Dans la période qui va de 606 à 771, treize papes grecs ou syriens gouvernent tour à tour l'Église romaine. Des quartiers entiers s'y étendent, peuplés de Ciliciens, de Syriens, de Grecs ou d'Arméniens. On conçoit que les usages grecs pénétrèrent en Italie; l'Église adopte des fêtes grecques et le culte de saints grecs, la société adopte les costumes, les mœurs, les prénoms, la langue même de l'Orient byzantin.
Une empreinte spirituelle de cette envergure sous l'égide de l'art n'est pas due au hasard. Le génie iconographique obéit à des lois immanentes aux forces créatrices du christianisme même. Une pensée profonde inspire l'ordonnance des sujets, une règle presque invariable en a fixé le groupement. L'idée maîtresse montrait l'Église comme le ciel sur la terre, ou inversement, l'Église sur la terre comme préfigure du Ciel, du Paradis, ainsi que l'Ancien Testament était la préfigure du Nouveau. Chaque partie de la décoration, selon une hiérarchie rigoureuse, a une intention symbolique, chaque groupe de saints, chaque cycle de scènes occupera dans l'édifice sacré une place spéciale et joue un rôle nettement défini dans la grande démonstration théologique que l'Église a pour charge de présenter aux yeux des fidèles. Sur les parois, les grandes fêtes sont figurées par douze sujets, les épisodes principaux de la vie du Christ et de la Vierge. Ainsi s'établissent des principes qui sont appliqués jusque dans les plus modestes chapelles, et ces principes, qui se maintiendront immuables, sont presque identiques aux règles que le moine Denys codifiera plus tard dans le célèbre Guide de la Peinture. Ainsi, dans les contrées que les liens religieux rattachaient au Patriarcat de Constantinople, dans celles qui se trouvaient placées sous la vassalité politique de l'empire ou qui subissaient l'influence intellectuelle de sa brillante civilisation, l'art byzantin fleurit comme en pleine terre. La Venise du au XIIe siècle, la Sicile normande du me, s'inspirèrent dans la décoration de leurs édifices sacrés des modèles que leur fournissait l'Orient grec.
35-36 Type de personnages voir texte cièdessus du me,
En renvoyant au commentaire des planches la description iconographique, nous pouvons dès maintenant présenter les traits généraux qui semblent inspirés du même archétype, conforme à un canon. Les figures ne se différencient que par des indications toutes conventionnelles, l'âge, la forme, la couleur de la barbe et des cheveux. Tous les visages sont ramenés, selon Kondakof, à trois types : le type angélique, le type prophétique et le type apostolique. Dans chaque catégorie, on rencontre des jeunes gens, des hommes faits, des vieillards. Pourtant, on constate sous une apparente monotonie un effort pour diversifier les figures : moines, évêques, archanges, guerriers. Malgré ses attaches traditionnelles, l'art byzantin semble avoir été, plus qu'on ne l'attendrait, curieux du détail pittoresque et vrai. Aux costumes antiques, il a volontiers mêlé les ajustements contemporains. Toujours l'artiste garde le souci de la ligne décorative, de la répartition harmonieuse des figures. La composition est d'un goût tout antique. Au X ͤ et au XI ͤ siècle, on constate une recherche de variété dans les plis courts et pressés, aux chutes tourmentées et pittoresques, une élégance maniérée qui aboutira finalement à la complication, à la sécheresse, à une sorte de fougue artificielle, oublieuse parfois l'élégante souplesse originale. S'il faut en plus admirer dans les mosaïques la prodigieuse virtuosité du coloris, il faut avouer que ce côté essentiel, qui obéit aussi à des lois rigoureuses, nous reste malgré les beaux documents en couleurs de Bastard, plein de mystères. Il y a lieu de se demander si les modèles dont disposaient les miniaturistes, étaient coloriés ou non. Notre hésitation se dissipe en partie du fait que dans les mosaiques comme dans les miniatures, les chairs, jadis modelées en brun, se teintent à partir du xre siècle de délicates ombres vertes qui vont jusqu'au gris-bleu, ce qui relève, longtemps avant la lettre, d'une « technique impressionniste »⁷².
Technique et couleurs
Concernant l'Hortus, nous pouvons donner les précisions suivantes sur la technique et les couleurs. D'abord les contours des figures et les plis du costume furent traités à la plume, ensuite étaient appliquées la couleur locale, les ombres et finalement les lumières ou rehauts, soit avec la couleur blanche, soit en épargnant le parchemin; enfin on revenait sur les contours et les plis avec du noir ou du brun. Les couleurs étaient généralement vives et la palette assez complète ; rouge de Saturne, vermillon, laque pourpre, diverses nuances de bleu, cendre verte et verts foncés, enfin le brun-marron. Le jaune apparaît rarement dans un ton clair et éclatant, d'ordinaire c'est un jaune d'ocre. L'or et l'argent de certains nimbes et de quelques broderies, étaient appliqués en feuille ; l'argent a noirci. Les ombres des carnations sont parfois portées en vert, l'incarnat des pommettes n'est souvent qu'une tache rouge non adoucie sur les bords, les yeux sont ordinairement fixes et sans regard, de sorte que les physionomies en général se ressemblent, sans être individualisées. II faut cependant excepter la figure du Christ, de la Vierge, des Anges, des Prophètes et des Apôtres, dessinée avec un souci tout particulier. On peut encore excepter quelques figures exprimant la dépravation extrême des vices, p. ex. Lucifer après sa chute, l'Orgueil et la Colère personnifiés.
36-37 Code de couleurs
L'étude délicate des couleurs est à peine effleurée et on peut se demander s'il existait un code de couleurs jusque dans les détails, ce qui équivaudrait à une hiérarchie des valeurs pouvant facilement rejaillir sur les compositions mêmes. Cette étude nous sera possible au fur et à mesure que le monde des miniatures nous sera accessible par de bonnes reproductions en couleurs 73.
A considérer dans leur totalité les productions artistiques picturales, on doit se demander comment tout ce bagage pouvait se propager, être mis à l'usage de centaines et de milliers de miniaturistes et de mosaïstes, alors que bien peu d'entre eux étaient des théologiens et des iconographes avertis. Il nous reste à supposer de la tradition orale d'atelier en atelier et l'existence de recueils de dessins officiels passant de main en main, de pays en pays.
Les Sujets sont répertoriés et diffusés.
Il suffit d'émettre cette hypothèse pour constater que le hasard nous sert d'une façon très heureuse. Cet apport inattendu nous est offert par deux feuillets détachés provenant de la reliure d'un registre d'Archives de la ville de Fribourg-en-Brisgau. Ils faisaient partie d'un recueil de modèles à proposer aux peintres à la fin du XII ͤ siècle. Sur l'un des feuillets sont représentés Zachée sur le sycomore avec le Christ et Pierre, plus bas deux cavaliers, dont l'un est appelé Théodore. Sur l'autre feuillet est écrit le catalogue de soixante-dix-huit sujets. Hermann Flamm ⁷⁴ qui le premier a publié ces documents, a pu démontrer, par une étude minutieuse, la parenté étroite entre ces dessins et l'Hortus Deliciarum, mais le sens de ce catalogue et, par conséquent, sa véritable valeur, il ne les a pas reconnus. Sur les soixante-dix-huit sujets, soixante-quatre trouvent leur pendant dans l'Hortus. Par conséquent son importance est telle que nous ne pouvons nous refuser de le publier in extenso. 
Les sujets qui correspondent à ceux de l'Hortus sont les suivants :  En traduction ;
1. Dominas in medio duorum angelorum, ibique crucifer — Latro iuxta cherubin. — 2. Ubi species crucis, et liber vitae inter duos angelos. — 3. Adam et Eva procumbentes. — 4. Anachorites orantes. — 5. Dein materie de leone, et asino beati (Joseph)i. — 6. Ubi Dominus flagello eiecit de templo ementes et vendentes. 7. — Ubi Dominus surrexit legere. — 8. Ubi sedet in medio doctorum. — 9. Ubi Job et Maiestas stant. — 10. Maiestas sedet. 11. Petrus et Paulus consedentes. — 12. Discipuli quasi sequentes Dominum. — Ibique duo apostoli sedentes, ex altera parte sedentes X. — 13. Ubi pincello pictum caput Gabrielis ad Mariae caput. — 14. Subtusque facies diversae aetatts. — 15. Post Samson cum Ieone. — 16. Mulier fimbriam vestimenti domini attingit. — 17. Princepsque orat pro filia. — 18. Jonae figura. — 19. Jacobus sedens. —




1. Le Seigneur entre deux anges, le porte-croix, le bon larron près du Chérubin. — 2. L'image de la Croix, le Livre de Vie entre deux anges. — 3. Adam et Ève à genoux. — 4. Anachorète en adoration. — 5. Modèle de lion et de l'âne de saint Joseph. — 6. Où le Seigneur pousse hors du temple les acheteurs et les vendeurs. — 7. Où le Seigneur se lève pour la lecture. — 8. Où il est assis au milieu des docteurs. — 9. Où Job est en face du Seigneur.  10. La Majesté assise. - 11. Pierre et Paul assistants (au Jugement) -12. le Seigneur, puis deux apôtres assis, et dix autres assis de l'autre côté. — . 13. Où des figures sont peintes avec le pinceau avec les têtes de Gabriel et de Marie. — 14. Où des figures sont peintes d'âge différent
15. Puis Samson avec le lion. — 16. La femme touche le bord du vêtement du Seigneur. — 17. Le centurion (princeps) prie pour sa fille. 18. La figure de Jonas. — 19. Jacques assis.
20. Item absolutio de cruce, sub cruci (!) miles et centurio, duaeque dolentes mulieres, et mües. — 21. (Jairi) archisynagogi filiam resuscitat dominas. — 22. Ubi Judaei coram domino flectentes genua, deludebant, data in manus eius harundinem. — 23. Ubi Dominas cum discipulis ad mensam. 24. Quatuor angeli acclines coram libro vitae. — 25. Post miles armatus stans. — 26. Ubi currebant (duo). — 27. Subque Johannes. — 28. Maiestas sedens. — 29. Sancta Maria sedens sine filto. — 30. Altera Maiestas. — 31. Ubi regulus pro servo orat. — 32. Ubi pro lunatico fit precatto• . — 33. Ubi materia visionis Zachariae ecclesiae candelabro vel ceteris. — 34. Gloriosa ascensio domini. — 35. Ubi Nabuchodonosor tres in fornacem semittit. Quos egressos adorat, comburuntur incensores. — 36. Dominus duos caecos illuminat. — 37. Daemoniacos sanat. — 38. Ubi in navi dormiens dominus excitatar, imperatque ventis. 39. Ubi piscantòis apostolis apparet Dominus. Petrus vero mergitur. —  20. L'absolution du haut de la croix (au bon larron). Sous la croix le soldat et le centurion — et les deux femmes pleurant et un soldat. — 21. Le Seigneur ressuscite la fille du chef de la synagogue (Jaire). — 22. Où les juifs s'agenouillent devant le Seigneur, l'insultant après lui avoir mis dans les mains un roseau.— 23. Où le Seigneur est assis à table avec ses disciples. —
24. Quatre anges à genoux devant le livre de vie. — 25. Puis un soldat armé, debout. — 26. Où les deux (apôtres) courent (au tombeau). — 27. Au-dessous Jean. — 28. La Majesté assise. — 29. Sainte Marie assise sans son fils. — 30. Une seconde Majesté. — 31. Où le Regulus prie pour son domestique. — 32. Où l'on prie pour le lunatique. — 33. Où il y a les éléments de la vision de l'église de Zacharie, du chandelier à sept branches et de la suite. 34. La glorieuse Ascension du Seigneur. — 35. Où Nabuchodonossor jette trois hommes dans la fournaise. Il les adore, une fois sortis indemnes, les bourreaux sont brûlés. — 36. Le Seigneur rend la vue à deux aveugles. — 37. Il guérit des démoniaques.— 38. Où le Seigneur dormant dans la barque est réveillé et commande aux vents. 39. Où le Seigneur apparaît aux apôtres en train de pêcher, Pierre s'enfonce dans l'eau. — 
40. Andreae et Johannis baptistae Paulique dimidiae figurae sub (?) apostolis stantòus. 
41. Stephani et Laurentii dimidietates. — 42. Dimidia figura beatae Mariae cum puero. — 43. Item Maiestas. — 44. Ubi tres baiulantur cruces domino sequente. — 45. Moysi, Helyae et Enoch dimidietates. — 46. Mulieres ad monumentum stant. — 47. Item Adae liberatio. — 48. Post apostolorum dimidiae imagines. — 49. Sanctus Andreas stans. — 50. Jordanis sub pedibus eius iacens. — 51. Ubi dominus cum matre ad nuptias. — 52. Ubi materia de veteri et novo testamento• — 53. Crucifixus. — 54. Duo portantes botrum in phalangis. — 55. Ubi torcular calcat solus. — 56. Materia de VII sapientibus. — 57. Item materia crucifixionis. — 58. Maiestas deorsum benedicens. — 59. Ubi ligatis manibus dominas ad passionem ducitur. — 60. Ubi Dominus inter duos Iatrones crucifixus.
61. Ubi Apostolis dominus pedes ablutt• . — 62. Suscitatio viduae. — 63. Ubi Maria domino in con-
vivio pedes rigat.—64. Ubi Zachaeus in arbore. — 65. Dominus conculcat leonem et draconem. — 66. Post Rota fortunae. 
40. Mi-figures d'André, Jean-Baptiste et de Paul, au-dessous des apôtres debout. — 41. Mi-figures d'Étienne et de Laurent. — 42. La Sainte Vierge en buste avec l'enfant. — 43. Encore une Majesté. — 44. Où trois hommes portent les croix, suivis du Seigneur. — 45. Mi-figures de Moise, Élie et Énoch. — 46. Les femmes debout devant le tombeau. — 47. Puis la délivrance d'Adam. — 48. Puis mi-figures des apôtres. — 49. Saint André debout. — 50. Le Jourdain couché aux pieds (du Christ). — 51. Le Seigneur aux noces (de Cana) avec sa mère. — 52. Où sont les modèles de l'Ancien et du Nouveau Testament. — 53. Le Christ en croix. — 54. Deux hommes portent la grappe sur des bâtons. — 55. Où (le Christ) foule seul le pressoir. — 56. Les modèles des sept sages (arts libéraux). — 57. Puis le modèle d'une Crucifixion. — 58. La Majesté bénissant d'en haut. 59. Où le Seigneur, les mains liées, est conduit à la Passion. — 60. Où le Seigneur est crucifié entre les deux larrons. 61. Où le Seigneur lave les pieds des apôtres. à table. — 62. L'encouragement de la veuve. — 63. Où Marie mouille les pieds du Seigneur lors du banquet. — 64.rencontre de Zachée sur
l'arbre.—  65. Le Seigneur terrasse le lion et le dragon. — 66. Puis la Roue de Fortune.
39 En Traduction
Les sujets qui n'ont pas de parallèle dans l'Hortus, sont les suivants 1. Boëtius sedens. — 2. Subque iohannes et leo, papa Gregorius sedens. — 3. Ubi in lecto puerperii sancti Nicolai genitrix. — 4. Ubi puer in balneo. — 5. Ubi sanctus Nicolaus benedicitur. — 6. Pro damnatis plectendis praecurrit citius. — 7. Ubi navi submersa sanctus Nicolaus rapit unum. — 8. Ubi olei liquor prefati sancti caecis languidisque venditur. — 9. Ubi tyranno iubente martyr transfigitur gladto.• — 10. Ubi martyr inclusis pedibus gestatur. — 11. Boëtius ducitur in exilium. — 12. Theodorus equitans cum alio. — 13. Leo et vacca.  1. Boèce assis . — 2. Au-dessous, Jean et Léon pape, Grégoire assis. — 3. La mère qui vient d'accoucher de saint Nicolas au lit. — 4. L'enfant danc le bain. — 5. Bénédiction de saint Nicolas. — 6. Il court vite s'offrir à la place de condamnés au châtiment. — 7. Après le naufrage, saint Nicolas sauve un homme. — 8. L'huile liquide du dit saint est vendue aux aveugles et aux malades. — 9. Sur l'ordre du tyran le martyr est transpercé de l'épée. — 10. Un martyr est emporté les pieds liés. — 11. Boèce est conduit en exil. — 12. Théodore à cheval avec un compagnon. — 13. Un lion et une vache.
Dans quelles intentions ce recueil a-t-il été composé ? A y regarder de près, on constate qu'Il contient des études de personnages, d'animaux et des compositions entières. La Majesté Divine se répète dans des attitudes différentes ; les anges, les apôtres, la Vierge avec et sans l'Enfant, l'Ancien et le Nouveau Testament, les Miracles, la Passion du Christ dans les détails, le Jugement dernier, tout trahit son caractère de répertoire de modèles. Le dessinateur a travaillé concurremment avec les artistes de l'Hortus. En plus, il propose d'autres modèles de la légende de Saint-Nicolas (pour Truttenhausen ou le Ste-Odile même ? ⁷⁵.  Quant aux deux cavaliers, i1 est indifférent qu'il s'agisse d'un Theodore et de son compagnon, ou seulement d'un modèle.
Ce recueil « Fribourg » nous est révélateur autant par son riche contenu que par l'organisation du chantier de l'Hortus. Mais cet ensemble de soixante-quatre sujets sur soixante-dix-huit, ne nous permettrait pas de reconstituer, même de loin, le système iconographique du grand ouvrage. Il nous faut remonter deux siècles plus haut pour découvrir ce qu'on pourrait appeler un guide iconographique, sans illustration. Ce guide se trouve dans un Évangéliaire de la Bibliothèque de Saint-Gall, entre les évangiles de saint Mathieu et de saint Marc. Les quarante-sept sujets sont présentés moitié en latin, moitié en grec, comme d'ailleurs tout le manuscrit en grec contient le texte latin interlinéaire ⁷⁶. Ce mélange des deux langues se rencontre aussi ailleurs, p. ex. dans le fameux Sacramentaire de Gellone.
L'Evangéliaire de la bibliothèque de sait Gall donne une autre liste de sujets
En voici les sujets :
« Portrait de Mathieu. L'ange Joseph dans le sommeil (en couleurs). Marie assise sur la mule. Joseph, l'Enfant dans le berceau. Marie assise à part. Salomé (la sage-femme), Hérode, les trois Mages. Les Mages avec les présents ... L'Égypte. Marie assise sur la mule, tenant l'enfant debout sur son giron. Joseph tenant les brides. Hérode. Le massacre des innocents entre les bras de leurs mères. Deux possédés. Les démons entrant dans les cochons. Le paralytique portant son grabat. La femme hémorroisse. Jaire. Les deux aveugles. La pécheresse Marie oint avec un vase de parfum, les pieds du Seigneur pendant le repas et les essuie avec les cheveux.
40
Portrait de saint Luc. Zacharie avec l'encensoir et l'ange. La Visitation. Élisabeth couchée. Bain de saint Jean-Baptiste. Joseph, l'Enfant dans la crèche, Marie se repose à part. Les bergers. L'enfant présenté par Marie est reçu dans les bras de Siméon. Le fils unique de la veuve. La veuve supplie aux pieds du Seigneur. Après la génuflexion elle se redresse. Le Seigneur rassasie cinq mille hommes de cinq pains et deux poissons... La femme courbée. Le Seigneur tenant l'hydropique par la main. Zachée dans le sycomore tenant la main vers le Seigneur; de l'autre, il se tient à une branche de l'arbre. Le Seigneur tend sa droite à Zachée sur le sycomore.
Portrait de saint Jean. Au commencement était le Verbe et le Verbe était près... Le Seigneur voit la sainte Marie à part pendant que les autres convives sont dans le cénacle. Lazare couché enveloppé de bandelettes et deux pleurantes. L'odeur du défunt. Marthe et Marie (c'est-à-dire les sœurs de Lazare) aux pieds du Seigneur, les mains levées. A Cana en Galilée, en présence de sa mère Marie, le Seigneur lève sa droite tenant une baguette sur six hydries, et fait goûter le vin au maître d'hôtel et aux autres. Le Seigneur est assis sur le puits, la Samaritaine puise l'eau. Le Seigneur à table avec des convives dans une salle. Judas donne le baiser au Maître qu'il ligote par les mains, pendant que les Juifs l'assistent, portant des massues et des lampes, c'est-à-dire des torches. Pierre coupe l'oreille à Malchus. Jean, Juifs. Réunion du conseil ; Anne et Caïphe. Pierre pleure pendant que le coq chante et que la servante l'interpelle. Pilate et Caïphe. Le Seigneur a les pieds ligotés. Des Juifs. Les porte-enseignes. Le Seigneur a été vêtu d'un manteau d'écarlate tient dans sa droite un roseau ; i1 est frappé sur la joue gauche : Voici le Roi des Juifs ! Longin avec la lance, un autre avec l'éponge. Deux soldats tiennent la tunique. Deux larrons. Jean debout, Marie pleure. André et Pierre demi-nus pêchent au filet (id est …). Le Seigneur vêtu d'un linceul tenant Adam par la droite, le retire de l'enfer qu'occupe le diable. Le diable gisant aux pieds du Seigneur. L'Enfer tend les mains vers le haut… c'est-à-dire l'enfer».
Ce catalogue de 16 + 14 + 17 sujets, représente une sélection de scènes choisies dans les évangiles de Mathieu, Luc et Jean. Il ne s'agit pas d'un système iconographique complet, mais d'essais. On se demande comment aurait pu être représenté le début de l'évangile de Jean, si la transposition ou l'interprétation n'avait été tentée dans l'Évangéliaire de Cologne du milieu du XI ͤ siècle, conservé à la Bibliothèque de Bamberg. La Nativité du Christ est relevée deux fois ; d'autres scènes, telles l'Annonciation, le Baptême du Christ, la Pentecôte, le Jugement dernier n'y figurent pas du tout. Cependant la valeur documentaire de ce catalogue est grande, car tout en énumérant les titres, il renvoie à un autre manuel illustré : depictus et xώγ, ce qui prouve encore l'existence de ce genre de recueils au service des peintres, et cette constatation peut nous suffire.
40-41
Ayant ainsi pris connaissance des sources d'inspiration, les influences byzantines au point de vue iconographique et stylistique dans l'Hortus ne nous surprendront plus. En faisant le relevé sommaire, nous constatons que sur 254 miniatures connues — 90 sont perdues — 75 sont d'influence nettement byzantine, 179 d'invention personnelle, où cette influence ne s'accuse pas dans l'iconographie. En nous bornant aux grandes compositions, nous reconnaissons l'origine byzantine dans les suivantes : La création des Anges, la Trinité et la Création du Monde jusqu'à l'expulsion des Premiers Parents du Paradis, l'histoire d'Abraham, l'Annonciation, la Nativité du Christ, l'Annonce aux Bergers, l'histoire des Trois Mages, la Fuite en Égypte et le Retour, le Baptême du Christ, la Samaritaine, la Crucifixion, l'Ascension, le Jugement dernier et le Sein d'Abraham. D'invention personnelle, c'est-à-dire non byzantine, sont p. ex. toutes les compositions en médaillons : l'Ancien et le Nouveau Testament, le char de l'Avarice et de la Miséricorde, le Pressoir mystique, l'Arbre généalogique, la capture de Léviathan, Jonas, les Paraboles, les événements après la Résurrection, le Combat des Vertus et des Vices, Ulysse, l'Antéchrist, les joies du Paradis, les Femmes apocalyptiques.
Impact sur la Cathadrale de Starsbourg
Il est évident que la somme de travail représentée par l'Hortus dans le domaine de l'art et de l'iconographie spéculative, ne pouvait rester confinée à Hohenbourg. Le monument par excellence sur lequel pouvait s'exercer son influence, était la cathédrale de Strasbourg. On peut prétendre que telle ou telle composition fut conçue spécialement pour les verriers et, à une plus grande distance, pour les sculpteurs. Ainsi des rapports directs ont été établis entre certains dessins et des vitraux du transept méridional de la cathédrale. L'influence à l'époque gothique est encore plus accusée : Le thème principal de la façade dispose le trône de Salomon aux pieds du Nouveau Salomon, qui est le Christ, sur les genoux de la Mère, devenue ainsi la Sedes Sapientiae (le siège de la Sagesse). Pour la description du trône de Salomon, nous lisons dans l'Hortus selon le 30 livre des Rois 10, 18 sv. : « Salomon se fit faire un grand trône d'ivoire et le revêtit d'or pur. Ce trône avait six degrés : le haut était arrondi par derrière et il y avait deux mains, l'une d'un côté, et l'autre de l'autre, qui tenaient le siège, et deux lions auprès de chaque main et douze lionceaux étaient sur les six degrés, d'un côté et de l'autre : i1 n'a pas été fait un tel ouvrage dans aucun royaume." 
Ce thème, dans le sens typologique, a été souvent employé dans l'iconographie médiévale, mais il était réservé à Herrade d'en donner le sens plus profond. Pour expliquer les deux mains, elle dit : « Les deux mains tenant le dossier du trône de Salomon, sont le Règne et le Sacerdoce (Rex et Sacerdos), le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, tous deux soutenant dans l'Église le trône du vrai Salomon. » L'explication dans le sens des deux pouvoirs corrélatifs du Moyen Age, est répandue sur toute la façade. A ce point de vue, ce monument si célèbre par son architecture est devenu, sur la terre d'Alsace, l'interprète le plus éloquent, le plus authentique, de la théorie des deux Pouvoirs. Combien cette idée préoccupait les historiens-philosophes de Hohenbourg est démontré non seulement par le manuscrit du Chronicon d'Othon de Freising, actuellement à la Bibliothèque d'Iéna, avec ses dessins apparentés à ceux de l'Hortus, mais encore par les Annales Hohenburgenses dans lesquels nous lisons à l'année 1158 : Ipso anno factum est scisma inter regnum et sacerdotium, et à l'année 1177 : facta est concordia inter regnum et sacerdotium (C'est l'année 1177 où il y a eu un schisme entre le pouvoir royal et le pouvoir sacerdotal), et depuis l'année 1177 : une concorde a été établie entre le royaume et le sacerdoce. ⁷⁷. L'influence de l'Hortus sur la cathédrale s'étend encore sur la lignée des ancêtres de la Vierge, le rôle des Prophètes et le Combat des Vertus et des Vices. La frise christologique au côté nord de la façade est, elle aussi, entièrement puisée de l’Hortus, celle du côté sud, moralisante, est une interprétation pittoresque et tardive de la Psychomachie en général.
A part ces rapports directs, il importe de se rappeler le milieu, dans lequel un pareil art fut élaboré. Imaginons l'énorme entreprise du chœur et du transept de la cathédrale romane, évoquons l'immense nef Wernhérienne, et nous sommes obligés d'admettre que les ressources quasi inépuisables dans les deux monuments, l'Hortus et la cathédrale, se complétaient et se fécondaient. Nous pouvons parfaitement nous imaginer les parois de la haute nef décorées de longues théories de sujets, comme le défilé des prophètes, dont nous rencontrons le reflet dans le manuscrit. Certains sujets sont accompagnés de véritables tituli, de vers commentant leur sens. Ainsi nous lisons tout au début sur la miniature de Dieu Créateur, au milieu des Anges : Omnipotens Dominus divina gerens bonus exstat. Cette coïncidence, sans nous aventurer trop loin, est encore un indice en faveur de l'influence de grandes compositions à fresque. Il semble d'ailleurs tout naturel que la paternité revienne à la peinture monumentale, d'où s'inspirent les miniatures. A travers l'insuffisance documentaire de nombreux calques, le grand style de l'Hortus reste et s'affirme par son universalité. Ceci n'exclut pas la collaboration d'artistes différents : les deux planches de la Vision de Zacharie sont manifestement d'une inspiration étrangère. Comme élément de comparaison, nous possédons le polyptyque de la vie de saint Jean-Baptiste du Musée Britannique, dont on a prétendu qu'il représentait un fragment de l'Hortus78. Cette pièce originale, document de premier ordre, apporte au classement d'une série de miniatures la possibilité d'en isoler une main différente. D'autre part, on peut alléguer une source d'influence très efficace dans les Mystères qui furent joués jadis à la cathédrale même, comme le mystère « STELLA » du Cantatorium du xrre siècle, également au Musée Britannique79. Chaque scène de cette histoire, épiquement divine, répond à une composition dans l'Hortus, jusqu'à la description du costume des Trois Mages. Il y a donc eu influence directe du drame liturgique. La suite du Combat des Vertus et des Vices relève d'observations analogues ; dans ces joutes passionnées, qui occupent 38 sujets, la vie chevaleresque de l'époque a marqué son empreinte et sa vitalité conquérante.
42-43
De tout ce qui précède, trois problèmes se sont dégagés, à savoir :
1/ le problème littéraire dans toute son étendue, la reconstitution de la bibliothèque d'Herrade et le parti qu'elle en a tiré;
2/ Le problème archéologique et artistique d'iconographie et de style;
3/ La synthèse des deux : leur concordance et discordance au cours du manuscrit.

Si un coup d'œil rapide sur les textes et les miniatures nous fait à nouveau regretter amèrement et à jamais la perte de l'Hortus, il nous est malgré cela possible d'admirer l'esprit dans lequel il a été composé et le siècle glorieux dont Herrade a pu devenir la porte-parole. A elle seule après Rélinde, il fut donné d'accumuler tout le savoir, de canaliser les tendances spirituelles et de les présenter soUs une forme encyclopédique à sa grande famille de Hohenbourg. C'était avec un bagage imposant que l'abbesse introduisit sa "cohors virginum" dans les spéculations séculaires des penseurs chrétiens. Sous sa houlette, Hohenbourg était devenu un Jardin des Délices. Cette atmosphère d'humanisme chrétien régnait sur le pays qui jouissait de la Pax Alsatica inaugurée par Léon IX. II avait fallu qu'une couronne de châteaux forts et de dévoués advocati entourassent la sainte forteresse, pour que derrière ses murs pût s'épanouir un paradis portant de telles fleurs et de tels fruits. C'est sous cette protection que nous comprendrons le mieux la magnifique floraison de l'art roman en Alsace.
Dans ce monde qui retentit des croisades et qui se renouvela dans des ordres nouveaux, dans ce monde monastique, conscient des responsabilités d'un niveau culturel clairvoyant, Herrade a placé son Hortus Deliciarum, vrai monument de renaissance et d'humanisme. Par sa personnalité, l'abbesse domine toute son époque. Son nom est aussi l'expression collective de tous les artistes anonymes de l'Alsace à la fin du siècle. Son œuvre éducatrice avait comme but de pousser au plus haut degré la formation culturelle de la femme à une époque où l'esprit de chevalerie était la fierté de l'homme.
La présente publication poursuit donc un double but : révéler à nos compatriotes et contemporains la largeur des horizons et la puissance créatrice de cette œuvre unique. Issue du Mont Sainte-Odile à l'époque d'Herrade, elle doit être aussi un encouragement pour ceux qui tenteront de s'attaquer à l'énorme problème de la reconstitution intégrale de cet autre « gloriosum opus » : celui d'Erwin, sur la base et dans la foi d'un labeur qui pendant un quart de siècle n'a cessé d'être notre préoccupation, et fut la source de joies et de forces dans des temps où, comme disait Engelhardt, l'Europe avait été vouée à un despotisme écrasant toute liberté et dignité humaines.
NOTES
1 Rod. Reuss. Les Bibliothèques publiques de Strasbourg incendiées dans la nuit du 24 août 1870. L'auteur y établit à la p. 17 sv. les responsabilites qui sont corroborées par là, de Straub dans son Journal du Siège de Strasbourg (Revue catholique d'Alsace, 1920 p. 471 et 529).
2 Grandidier, Histoire de l'Église de Strasbourg, I, 358.
3   Léopold Delisle, Les Collections de Bastard à la Bibliothèque Nationale, Nogent-le-Rotrou, 1883, p. 278.
4   Robert de Lasteyrie, Miniatures inédites de l'Hortus Déliciarum de Herrade de Landsberg (xne s.) dans Gazette archéologique, Paris, 1884-85, p. 57 sv. ct tirage à part.
5   Card. Pitra, Spicilegium Solesmcnse, 1885, II, 190 et 486.
6   Ferd. Piper, Die Kalcndarien und Martyrologien der Angelsachsen sovie das Martyrologium und der Computus der Hetrad von Landsbcrg, Berlin, 1862. Préface p. V.
7   Gebwiler Hieron. Ein sch6n... Hystorie... der hl. Junckfrowe Ottilie (t 521).
8   Walter Jos., La Croix de Niedermûnster, Archives Alsaciennes d'Histoire de l'Art- X, 1931, p. 36-7.
9   Bernhard Hertzog, Chronikon (Strassburg), 1592, VI, 255.
Hugue Peltre, La Vie de sainte Odile, première abbesse du Monastère de Hohenbourg, Strasbourg, 1699.
Jean Walch, Decadae Fabularum, Strasbourg, 1609. Dans l'épitre dédicatoire à Gunther de Landsberg l'auteur dit : Herradis à Landsberg lingua romana egregium quendam librum... cui titulum fecit Ortulas deliciarum... qui liber concinne admodum boloserico vüloso colore tincto coccineo vestitus, ante aliquot non ita plures annos Hobeaburgo Tabernas translatus etia.mnum bodie illic visitur ratum antiquitatis monumentum, propria Herradis manuscriptum. (Grandidier-
Liblin, II, 294 note.) ta Ch. Schmidt, Herrade de Landsberg, Strasbourg (Heitz), p. 102-3.
13  Christian-Moritz Engelhardt, Herrad von Landsberg, Aebtissin zu Hohenburg Oder St. im Elsas im zw61ften Jahrhundert und ihr Werk Hortus Delicia.rum. Ein Beitrag zur Geschichte der Wissenschaft, Literatur, Kunst, Kleidung, Waffen und Sitten des Mittelalters mit ta Kupfcrtafeln in Folio, Stuttgart, Cotta, 18x8. — La Librairie Baer de Paris a fait en 1877 une nouvelle édition de l'Atlas d'Engelhardt- Les planches pour l'ouvrage de 18x8 avaient été gravées à Paris. Gœthe avait reçu un exemplaire d'Engelhardt. Il remercia l'auteur fur eine angenehme reichhaltige Seadung, die ihn in iene Zeiten versetzt habe, wo man so gerne verwedt, Weil eine produktive Einbildungskraft das Barbarische, was sie gehabt haben, mildert und gemûtlich versOhnt... Sodann haben sie zugleich cinen hedigen Namea, der mir in manchem Sinne Lieb ist, aus der dûstercn Zeit anmutig Kerausklingen lassen — Gœthe s'était déjà occupé, en 1820, des dessins qui illustrent la chronique d'Othon de Freising, issus du Mont Ste-OdiIe, dans Archiv• II (1820) p. 304, III, 267. En 1847, Engelhatdt avait préparé une nouvelle édition avec de nouveaux calques, mais la maison Cotta ne put se décider à cette entreprise.
14  Auguste de Bastard d'Estang, Peintures et Ornements des Manuscrits classés par ordre chronologique. Paris, 1832 sv.; grand in-fol. (voy. Léopold Delisle, Les Collections de Bastard à la Bibliothèque Nationale, p. X et 278). L'ancienne Bibliothèque de Strasbourg avait reçu comme don du Gouvernement un exemplaire complet de tout ce qui avait paru de l'ouvrage du Comte. La Bibliothèque actuelle de l'Université a fait l'acquisition d'un autre exemplaire qui,au lieu de vingt planches, n'en contient que dix (Schmidt, p. 107).
Louis Spach, Lettres sur les Archives départementales du Bas-Rhin (Strasbourg), 1862, p. 165. I.S Lettres XV et XVI sur Herrade méritent toute l'attention (dans l'éd. in-120 de 1861, p. 169 sv.).
16  Reuss, p.
17  Ch. Schmidt, op. cit., p. 84.
18  En 1879 parut la première livraison de ro planches en héliogravure précédées de notes explicatives ; elle est dans le format de l'original. La deuxième livraison parut en 1881, la troisième en 1882, la quatrième en 1884. De nouvelles trouvailles entrainèrent un arrêt, ce qui explique le grand nombre de planches supplémentaires marquées bis, ter, quater, dont les sujets sont en rapport avec ceux des mêmes numéros simples.
Le Chanoine Straub mourut le 27 nov. 1891 et la suite de la publication fut confiée au chanoine Keller. nombre des livraisons fut porté jusqu'à onze (1899). Il existait en plus le projet de publier les copiés par Bastard. Ce projet n'a pas été réalisé. V. Introduction de Keller.
19  P.P. Cahier et Martin, Monographie des vitraux de la cathédrale de Bourges (1852), in-fol. passim.
20  Le Noble, Notice sur le Hortus Deliciarum (Bibliothèque de l'École des Chartes), 1839. T. I, 239.
21 Léopold Delisle, v. note 3.
22 De Lasteyrie, v. note 4.
23 M. E. Müntz, Les monuments d'art détruits à Strasbourg (Extr. Gazette des Beaux-Arts, livraison d'avril 1872). Tirage à part, p. 7.
24 Spach, Der v. note Odilienberg, 15. Rixheim, 1874, p. 226.
25 Gyss,
26 Schmidt Ch., p. 29 v. note 12.
27 Ibid, p. 35.
28 De Lasteyrie, p. 5.
29 Delisle, Fonds Bastard, v. note 3.
30 "Que sont en effet ces reproductions pâles en traits plus ou moins assurés, en comparaison de miniatures brillant de l'éclat de couleurs, rehaussées d'or et dessinées d'une main dont la fermeté nous a toujours rempli d'étonnement n. Préface de Straub. 31 Walter Jos. Les Miniatures du Ccdex Guta-Sintram de Marbach-Schwartzenthann, Archives Alsaciennes d'Histoire de l'Art, 1925, p. sv.
32 Sept Sanctuaires s'élevaient dans l'enceinte du monastère qui étaient autant de Stations liturgiques. Elle (sainte Odile) qui ne respiroit que d'entretenir ses sœurs aux exercices spirituels, va projetter de construire plusieurs Stations devotes dans l'enclos du Monastère. pour chacune desquelles, elle bastit une chappelle, scavoir la principale tenant forme d'Église conventuelle, qu'elle feil dedier et consacrer à l'honneur de Sainct Pierre et Sainct Paul Apostres. La seconde surnommée la Chappelle pendante et une autre après d'icelle, en laquelle souventes fois elle faisait ses prières. Plus une troisième à l'entrée du Monastère, et finalement la Chappelle de Sainct Jean Baptiste choisi par elle pour Patron pendant sa vie. En cette Chappelle de St. Jean est la tombe sous laquelle Saincte Odile aura ésté inhumée ; elle s'appelle aussi la Chambre des Reliques... » (Jean Ruyr, Recherches des Sainctes antiquités de la Vosge, province de Lorraine (Espinal, 1634), p. 172).
33 «Porro septem ibi oratoria erant, quorum sex adhuc supersuntnempe ad portam monasterii unum rotundi operis, omnibus sanctis Alsaticis dedicatum, alterum princeps S. Mariae, non ita pridem a fundamentis instauratum, tertium huic adhaerens, S. Crucis, quartum eidem contiguum S. Johannis Bapt., ubi sepulta S. Odilia, quintum SS. Angelorum in quod Odilia secedere solebat sextum Lacrymarum, quod sic appellatum volunt quia illic ad vitae finem mortem ab se caesi Athicus expiavit. Septimum denique erat SS. apostolorum Petri et Pauli modo destructum». Gallia Christiana V, col. 838 (Paris, Palmé 1877).
34 Les guerres et les troubles du schisme avaient produit un grand relâchement dans les abbayes des chanoines réguliers d'Allemagne, la plupart étaient tombées dans un désordre scandaleux, dont Hohenbourg se ressentait également. Le Concile de Reims de 1148, pour y obvier, ordonna qu'on les réformât en y introduisant la règle de saint Benoît ou celle de saint Augustin. Frédéric, duc d'Alsace, avoué de Hohenbourg, qui devint empereur en 1152, mit en effet à exécution les décrets de ce concile pour rétablir la discipline dans cette abbaye, où s'était introduit le relâchement des mœurs. (Sanctimoniales et mulieres quae canonicaè nominantur et irregulariter vivunt juxta beatorum Benedicti et Augustini rationes vitam suam in melius corrigant et emendent). Frédéric fit venir du Monastère de Bergen en Bavière dans le diocèse d'Eichstett, une religieuse nommée Rélinde, qu'il établit abbesse de Hohenbourg. On la trouve dès l'an 1154 à la tête de cette abbaye (venerabilis abbatissa Relindis que canonice religionis ordinem in Hohenburc restituit. Charte de Marbach). En peu de temps elle lui rendit son ancien lustre et lui fit reprendre sa première ferveur (Ipse Fridericus Romanorum imperator ecclesiam quae dicitur Hohenburg consilio spiritualum personarum restaurare elaboravit et religiosam et idoneam personam nomine Relint eidem prefecit. Haec enim dum regimen ecclesiae feliciter suscepit, pro dei amore destructa diligenter reedificans, dissipata strenum plantans ipsam ecclesiam ad honorem dei prudenter et honorifice reformavit omnemque divine legis religionem ac canonice discipline rigorem secundum regulam beati Augustini inibi pleniter reformavit (Lucius III dans sa bulle de 1185 pour le monastère de Truttenhausen). Relinde mourut le août 1167 (Grandidier-Liblin II, 292 sv.).
35 Schmidt, p. 10. 36 v. note 31.
37 Ibid., p. 35.
38 On appelait poculum caritatis ou caritas vini le vin extraordinaire qu'on servait à certains jours. C'étaient des fondations sur lesquelles le cellérier retirait quelques rentes à charge de fournir les dits vins de charité (Grandidier, Histoire de l'Église de Strasbourg. l, 181, note 1).
39 a Sponsam ipsius (Rogerii) filiam Constantinopolis imperatoris (Constantini) imperator Philippi fratri suo desponsavit, reginamque Apuliae uxorem Tancredi, Sibilam nomine, filiamque eius apud monasterium Hohenburc dictum in Alsatia custodiae mancipavit... (et avant) : uxoremque Tancredi cum filia necnon filium ipsius cum sua sponsa, filia scil. constantinopolitanae imperatoris captivos nobilissimos trahens... (Otto Frisingensis, continuatio Sanblasiana sub anno 1195). M. G. SS XX, 326.
40 Engelhardt, p. 176, Schmidt, p. 40.
41 Marignan, Étude sur le manuscrit de l'Hortus Deliciarum. Studien zur deutschen Kunstgeschichte, 125. Heft, Heitz, Strass-
burg, 1910, p. 83.Die Münsters, Basel, Benno co, 1942. L'auteur consacre un
Fridtjof Zschokke. romanischen Spitromanischen Glasgemâlde Glasgemâlde des Strasburger des Hortus Deliciarum, p. 55 sv. Il dit
42 : Datieren der mit Hilfe der Miniaturen chapitre spécial concevoir: dass zum mindesten die Miniaturen erst nach demTodederAebtissin geschaffen wurden. (p. 60, qu'il est diffcile de il est aussi question de l'influence byzantine sur les vitraux de la Cathédrale de Strasbourg. note 20). Dans cette publication,
43 Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments historiques d'Alsace. Ile sér., vol. 22, p. 1-54.
44 Reumont H., Die deutscben Gtossen H. D. der Herrad v. L. (Diss.), 1900, notes.
45 Ch. Schmidt, Zur Geschichte der Itesten Bibliothckcn und der ersten Buchdrucker zu Strassburg (Str. rua), p. 2-6. Cc travail et compléter par celui de A- M. P. Ingold. Les manuscrits des anciennes maisons religieuses d'Alsace (1898), aux• quels viendraient s'ajouter une dizaine de manuscrits de Bâle (Basler Zeitschrift für Gcschichte und Altertumskunde, Bd. 26 (1927), p. — Johannes Fluer, Handschriftliches det alten Strasburger Universitatsbibtiothek (Festgabe des ZwingliVereins cum 70. Geburtstage von Hermann Escher (Zürich, 1927, p. 44 — Job. Lehmann, Schardus, Müncben, 19tX (Quellen und Untersuchungen zur lateiniscben Phjologie des Mittelalters, IV, p. 179 sv.).
46 Guido Drewes, Herrad von Land.sberg, dans Zeitschrift fûr Katholische Theologie, 1899 (XXIII), p. 644.
47 Max Manitius, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters. 3. Teil unter Paul Lehmanns Mitwirkung, Beck, München, 1931, p. 880.
48 Migne, P.L. 172.
49 Migne, P.L. 106.
50 Migne, P.L. %-81.
51 Magne, P.L. 58.
 Migne, P.L.
53 L'Itin•arius est identique aux Recognitiones. Nots• nous sommes servi de l'édition princeps:: D. Clementis ID. Petri apostolor. prbtcipis discipuli romani pontificis opera... omnia, Rumo Torano Aquileiensi interprete. Coloniae. 1563. (Exemplaire de la Bibliothèque de Sélestat.) 54 Migne, P.L. 54-55.
55 Migne, P.L
56 Migne, P.L. 198.
57 Migne, P.L. 157-160.
58 Sylvester, Disputationes contra Judaeos, quelques passages dans Migne P. L. 8,814.
59 Migne, P.L. 102.
60 Migne, P.L.
61 Ecclesia Dei mysticus est paradisus.
Spirat odor fiorum. ractus spiramine quorum, Etsi non fessus, (amen hic voto sistere gressus, ut recreem visum spatiando per hanc paradisum Denotat Ecclesiam paradisus, et in paradiso Est lignant vitae, Christus in Ecclesia.
Caetera ligna, viri jasti; fructus, bonus actus.
Quatuor ex uno flamina fonte cadunt. Sic Evangelli sunt tòri quatuor ; horum nos doctrina regit, fructiferosque facit.
Ligmzm per quod Adam quae sunt bona, quae mala novit. Llbertas nostri dicitur arbitrii.
(Hilde&rtus Cenoman. P. L. 171 col. 1279,)
Saint Jérôme dans le Sermo de Assumptione B. M. V. (Lect. V de ta fête de l'Immaculée Conception) dit dans des termes presque identiques Vere Hortus Deliciarum, in quo sunt universa florurn genera et adoramenta virtutum... 62 Prudence, P.L. 59et60. Lemanuscritleplus célèbredeIaPsychomachieillustréedePrudenceestrexemplare dela cathédrale de Strasbourg actuellement à la bibliothèque de Berne. de la fin du 90 s., accuse des influences classiques notoires, sans nous forcer de le rattacher à l'école de St-Gall (Stettiner, die illustrierten Prudentius-Handschriften. Planches. 1905). — Ad. Katzenetlenbogea, Die Psychomachie in der Kunst des Mittelalters von den Anfàngen bis zum 13. Jh- avec le renvoi au (Pseudo).Hugues de St.-Victor; De fructibus carnis et Spiritus.
63 Sur l'idée que l'on se faisait de la nature et de l'activité de l'Antéchrist voy. Othon Freising, Chronia lib. VIII. Honorius, Elucidarius lib. III, 10 De Antichristo et adventa Enoch ac Eliae.
64 Engelbardt, p. 57, 116, Schmidt, p. 43 sv., Piper, p. 1-39 : voy. aussi B. Bischoff, dans Historisches Jahrbuch 1940, p. 560 concernant la poésie • Compositor sapiens Cet auteur cite encore le Bernensis 704 du XII' s., f. 28, le Vatic. lat. 672, fol.xor où ceruins vers sont réemployés pour les intervalles hebdomadaires.
65 Schmidt, p. 49. C'est une erreur manifeste de composition : il faut lire 336 ; l'auteur avait compté les miniatures à un moment où il en manquait huit par mpport au nombre de 344, chiffre adopté par nous.
66 E. Müntz, Les monuments d'art détruits..., p. 9.
67        Engelbardt, p. 71 sv.
68 Haseloffdans «Aperçu sur la miniature dans les pays cisalpins • (A. Michel, Histoire de l'Art, II, 1, p. 324).
 
Le côté artistique (dans l'Hortus) et les beautés qu'il vous offre sont de premier ordre... Hetrade n'a emprunté à l'art byzantin que ses bonnes qualités, la régularité, la solennité du style, et les a transfigurées... Les personnages et les sujets qui sortent de l'alliance de ces divers éléments remplissent toutes les conditions du grand art et peuvent prendre place à côté des créations les plus parfaites de la foi religieuse. V. Müntz, les monuments d'art..., p. 7. Cet auteur eut le manuscrit entre ses mains trois ans avant sa destruction.
69 Otto Gdlen, Ikonograpbische Studien zum Hortus Deliciarurn der Herrad von Landsberg (Kunstwasen.schaftlicbe Bibliotbek. Bd. IX. Deutscher Kunstverlag, Berlin W. 8, 1931). II y est particulièrement question du Jugement dernier par
rapport aux Manuscrits byzantins.
70 L'Évangéliaire d'Erstein fut exposé à Berne en été 1949 (Catalogue NO 47. Sur ce beau manuscrit du s. Micheli L.   L'enluminure du Haut Moyen Age et les influences irlandaises, Bruxelles, 1939, p. 154 ct PL 241 et 224: Catalogue de Berne, pl. 6, Bibliothèque de Wolfenbûttel, Catalogue Heinemann NO 2186 ; en dernière page figure l'inventaire du treor de l'abbaye d'Erstein. Quant à la provenance de Tours, il y a tout lieu d'émettre des doutes. eLe décor de l'évangéliaire d'Erstein, moins fortement imprégné de traditions franco-insulaires, présente encore quelques initiales d'un style géométrique ; les jambages sont formés d'entrelacs alternant parfois avec des panneaux de rinccaux• (Micheli.)
71 Pour les influences byzantines en Occident, les premiers historiens de la miniature ont été les érudits français Montfaucon, Engelhardt, Séron d'Agina.u.rt, Didron, Léopold Delisle, Henry Omont, Diebl, Millet, Ebersolt et Grabar ; en Allemagne : Strzygoswski, WUIff ; en Angleterre : Dalton ; en Italie : Monoz ; en Russie : Kondakoff.
Pour nos régions et l'Allemagne du Sud : A. BŒckler, Regensburg — Prüfeninger Buchmalerei urn die Wende des XII. Jahrb., München, 1924- Le meme, Abendlind.ische Miniaturen bis zum Ausgang der romaniscben Zeit, Berlin-Leipzig, 1930. — G. Swarzenski, Die Regensburger Malerei des x. u. XI. Jahrh., Leipzig, 1901. — Le même, Salzburger Malerci von den ersten Anfingen bis zur Blütezeit des romanischen Stils, Leipzig, 1908. — Le même, Die lateiniscbeo illuminierten Handschriften des XXII. Jahrh. in den Lindern am Rhein, Main und an der Donau, Berlin, 1936. — H. Swarzenski, Vorgotische Miniaturen, Leipzig, 1931 (Blaue Bûcher). — Homburger O., Einc lothr-ingische Kunstschule um die Wende des XII. Jahrh. in Oberrheinische Kunst, Freiburg, x925. — A. Goldscbmidr, Frühmitte.IaJterIiche illustrierte Encyclopidien, dans Vortrage der Bibliothek Warburg, 1923-24. — Eisler, Die illuminierten Handschriften in Kaernten, Beschreibendes Verzeichnis der illuminierten Handscbriftcn in Oestctrcich, Leipzig, 1907. — Wickhoff et Dvorak, Beschreibendes Verzcichnis der illuminicrten Handschriften in Oesterreich, Leipzig, 1900. — Weitzmann K., Die byzantinische Buchmalcrei des IX. IL x. Jahrb. Berlin, 1935. — Le meilleur coup d'œil d'ensemble offre Louis Réau, Histoire de la Peinture au Moyen Age : La Miniature, Melun, Librairte d'Argences, 1946.
72 La plus anaenne collection de modèles est un rotulus en parchemin aux archives du Chapitre de la cathédrale de Verceil, à sujets tirés des Actes des Apôtres (V. Cipolla, La l*rgamena rappresentante le antiche pitture della basilica di S. Eusebio in Vercelli) (Miscellanca di Storia italiana, Serie III, t. VI, Torino 1901). — Schlosser, Zur Kenntnis der künstlerischen Ueberlieferung im spaten Mittelalter (Jahrbuch der Kunstsammlung des Oesterreichischen Kaiserhauses. Bd. 23, 308. — JŒ. Neuwirth. Das Braunschweiger Skizzenbuch eines mittelalterlichen Malers, 1897. — Hans R. Hahnlaser, Villard de Honnecourt, 1935, Schroll, Wien. — Le même : Das Musterbuch von Wolfenbûttel, Wien, 1929).
73 Notons pour le moment : Hans Jantzen, Ueber Prinzipien der Farbengebung in der Malerei, dans : Kongress fûr Aestbetik und der allgemeinen Kunstwissenschaft, 1913 (Stuttgart, 1914). — Job. Jak. Tikkanen, Studien ûber die Farbengebung in der mittelalterbcben Buchmalerei, Helsingfors, 1933. — F. Poral, Des couleurs symboliques, Paris, 1837.
74 Flamm Dr. Herm., Eine Miniatur aus dem Kreise der Herrad von Landsberg (Repertorium flir Kunstwissenschaft, XXXVII, p. 123-162).
75 Berta cuius tempore Leo IX papa ecclesiam dedicavit in honorem S. Mariz virginis et S. Nicolai. (Gallia Christiana V. COL 839).
76 Berger Samuel, De la tradition de l'art grec dans les manuscrits latins des Évangdes (Mémoires de la Soc. des Antiquaires de France, 1891. 60 s&ie, tome 2, p. 144, et F. X. Kraus, Ceschichte der christ.licben Kunst I (1896, Herder, Freiburg),
p. 474, note r.
77 Annales Marbacenses, ad an. 1158 et 1177.
78 Walter Jos., Aurait-on découvert des fragments de l'Hortus Deliciarumf A propos d'une récente acquisition du Musée britannique, dans Archives Alsaciennes d'Histoire de l'Art, 1931, p. x sv. Réponse à E(ric) G. M@lar) qui dans TheBritish Museum Quarterly VI, t, avait publié son article : Miniature of the life ofSt. John tbe Baptist, ea revendiquant l'ancienne appartenance à l'Hortus.
79 L'ancien Cantatorium de l'Église de Strasbourg. Ms. add. 23-922 du Musée britannique, édité par André OSB, avec un mémoire de M. l'abbé J. Walter (sur les processions de Strasbourg), Alsatia, Colmar, 1928. — J. Walter, Le Mystère Stella des Trois Mages joué à la cathédrale de Strasbourg au s. (Archives Alsaciennes  d'Histoire de l'Art, 1929, P' 39 sv.).